Lucky Luke fut le grand absent de la soirée ! Pourtant, le personnage de BD créé par Morris et Goscinny s’était colleté avec Calamity Jane et Billy the Kid… Deux figures bien réelles qui participent encore à la légende du Far West, puisque les Lettres à sa fille de la première furent mises en musique par l’Américain Ben Johnston, et qu’après plusieurs apparitions au cinéma, le second vit ses Œuvres complètes, pochade de Michael Ondaatje, faire l’objet d’une création – commande des Théâtres de la Croix-Rousse et de la Renaissance Lyon-Métropole au Britannique Gavin Bryars, dont on connaît bien les œuvres, de Thinking of the Titanic au ballet Biped, en passant par l’ode Jesus’blood never failed me yet, les opéras Médée – créé à Lyon, en 1984 – et Doctor Ox’s experiment d’après Jules Verne.
Si l’œuvre de Johnston, né en 1926, est quasi inconnue en France, excepté un quatuor à cordes joué au cours des années quatre-vingt par le Kronos Quartet, Calamity Jane, théâtre musical d’après les Lettres à sa fille – ouvrage jugé aujourd’hui apocryphe – de 1989, est une belle découverte dans la mise en scène de Jean Lacornerie et la direction de Gérard Lecointe, à la tête de ses Percussions Claviers de Lyon. Ce n’est pas le premier spectacle qui rassemble les deux Lyonnais, loin de là, d’où cette belle harmonie qui règne sur le plateau autour de la soprano Claron MacFadden, pour ce « diptyque du paradis perdu », sous-titre du spectacle – plus prosaïquement des recettes de cuisine, articles de journaux et poèmes débridés attribués à ces deux têtes brûlées issues du mythe américain. Rythme chaotique, chanson de cowboys et écriture microtonale pour Johnston – moins délirants et exotiques que chez son confrère Harry Patch qui alla jusqu’à inventer des instruments à partir de matériaux de récupération ! La soprano a fort à faire avec un style aussi alambiqué que virtuose, qui a finalement plus à voir avec le scat d’Ella Fitzgerald et l’outrance d’un chanteur de cabaret. Remarquable comédienne, son charme vient à bout de cette pièce plus pyrotechnique qu’authentiquement poétique.
L’univers, plus trouble mais plus intense, de Bryars, trouve un écho dans le personnage du Kid, interprété par Bertrand Belin, un choix risqué pour ce chanteur venu du rock, guitariste, comédien et écrivain, dont le falsetto se pose avec légèreté sur des trames sourdes et évanescentes. Timbre doux, nacré, associé à celui, à la fois lyrique et posé, de McFadden, tous deux bercés par la vibration chaleureuse des claviers : comme un halo protecteur qui unifie ces voix, celle de Billy enfant et celle, méditative et désillusionnée, qui se souvient et raconte. Sur une palissade, qui n’est pas sans rappeler celle que le metteur en scène utilisa à l’Opéra de Lyon pour la première française de The Tender Land, l’unique ouvrage lyrique de Copland, en 2010, le paysage se crée, s’anime, et se défait dans les tons sépia sous le pinceau de Stephan Zimmerli – une manière d’accompagner, fixer et dissoudre l’harmonie tendre et volatile de Bryars. Paradis perdu, vraiment ?
Franck Mallet
Calamity / Billy, le 6 mars, Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon (photo © Bruno Amsellem / Divergence : Claron McFadden et Bertrand Bellin)
Prochaines représentations : Lyon, Théâtre de la Croix-Rousse (8/03), Oullins, Théâtre de la Renaissance (9 et 10/03), Chambéry, Espace Malraux (13 et 14/03), Belfort, Le Granit (16/03), Bourges, MCB (20 et 21/03), Échirolles, La Rampe (23/03), Andrézieux, Théâtre du Parc (24/03), Meyrin-Genève, Forum (27/03), Bruges, Concertgebouw (28/04), Rotterdam, Operadagan (25/05) et Budapest, Armel Opera Festival (5/07).