Samedi 20 avril 2024
Concerts & dépendances
vendredi 21 février 2020 à 01h12
A l’Opéra Comique, nouvelle production et 1694ème représentation de La Dame blanche de François-Adrien Boieldieu, quatrième ouvrage le plus joué dans la maison après Carmen, Manon et Mignon. Créé un demi-siècle avant Carmen, mais son antipode justement, pour ne pas dire son antidote : tout ici est souriant et bien pensant, en phase avec le lieu et l’époque - et même d’actualité, puisque le livret de Scribe d’après Walter Scott (à la mode du temps lui aussi) glorifie, un an après le couronnement de Charles X, la « restauration » d’une famille exilée. Quant à la musique, troussée en trois semaines (pour remplacer une création d’Auber) par un Boieldieu au faîte de son savoir-faire, elle rossinise beaucoup (les deux hommes étaient voisins, et pas seulement par l’adresse), mais rend habilement hommage aux grands anciens, à commencer par Grétry. Wagner lui-même la louait, alors que Berlioz y voyait plus cyniquement une machine à cash. Mais que faire de cette « Gentille dame » (un des nombreux tubes de l’œuvre), si proche de son public qu’on y assiste même, cent-vingt-six ans avant le Rake’s Progress de Stravinsky, à une vente aux enchères « en temps réel », point culminant d’une intrigue où l’argent et la propriété (XIXème siècle, siècle bourgeois) sont des motifs récurrents ? Rien de plus que ce qu’elle est, démontre la metteur en scène Pauline Bruneau - dont La Bohème, notre jeunesse restait déjà sur la même scène (voir ici) au plus proche de l’imagerie puccinienne. Pas de transposition donc (une forme d’originalité de nos jours), mais des effets vidéo bien placés (apparitions et disparitions de cette Dame blanche qui est en l’occurrence un faux fantôme) et quelques clins d’œil dans le jeu d’acteurs pour faire passer des dialogues parlés qui, eux, ont fait leur temps. Une troupe musicalement haut de gamme, où le ténor Philippe Talbot et la soprano Elsa Benoit (une formidable Française détachée à l’Opéra de Munich) se jouent des acrobaties vocales à eux demandées, dirigée avec l’élégance requise par le très doué Julien Leroy. Ovations pour tous aux saluts : cette si convenable Dame blanche serait-elle aussi de notre temps ?
François Lafon 

Opéra Comique, Paris, jusqu’au 1er mars (Photo © Christophe Raynaud de Lage)

Moment fort du Festival Présences à la Philharmonie de Paris : Written on skin de George Benjamin – invité de l’année (voir ici) – dirigé par lui-même. Dans Musikzen (voir ) à propos de la création (mise en scène de Katie Mitchell) : « Prochain test : une autre équipe, une autre vision. Si l’ouvrage en sort victorieux, il sera un classique ». Mieux encore ce soir : l’ouvrage, est donné en version de concert comme un pilier du répertoire, sa structure même (répliques à la troisième personne, inclusion des didascalies dans le dialogue) se prêtant idéalement au jeu. Pas tout à fait en concert d’ailleurs : discrètement mis en espace par Dan Ayling, il révèle une autre dimension, l’intimisme. Un couple – le Protecteur (c’est tout dire) et son épouse l’innocente et illettrée Agnès -, trois anges dont l’un va sortir du groupe pour devenir « le Garçon », enlumineur (qui « écrit sur la peau » - le parchemin) et révélateur de la femme à elle-même au risque de sa propre vie, nous font voyager immobiles du Moyen-Age provençal à notre temps pour une nouvelle variation sur le thème du « Cœur mangé », motif shakespearien que le « texteur » Martin Crimp (il n’aime pas le terme librettiste) pare de sa prose inimitable mixant l’ailleurs et le quotidien et dont Benjamin magnifie l’étrangeté avec une violence et une délicatesse qui font de lui l’héritier de Debussy et de Britten. Plateau superbe et renouvelé, Georgia Jarman remplaçant – comme elle l’avait fait à Lyon dans Lessons in Love and Violence des mêmes auteurs (voir ) - la créatrice Barbara Hannigan, entouré du contre-ténor Tim Mead (le Garçon) et du baryton Ross Ramgobin (le Protecteur), Philharmonique de Radio France - augmenté d’une viole de gambe et d’un harmonica de verre - applaudissant en connaisseur le chef-compositeur aux saluts. Avant le concert : rencontre publique avec Crimp et Benjamin. Savoureux dialogue dans un français imaginatif ("Entre nous, nous sommes sucrés", dit Benjamin) sur une collaboration que le présentateur Arnaud Merlin compare à celles de Mozart et Da Ponte ou de Strauss et Hofmannsthal (sourire des intéressés), d’où il ressort que sur les références littéraires (Walter Benjamin), picturales (Klee), psychanalytiques et symboliques dont les commentateurs ont fait leur miel depuis la création de l’ouvrage en 2012, prend le pas pour les créateurs le  souci  de rester clair, d’éviter tout didactisme, de ne pas faire ce qui est attendu, de mettre les chanteurs vocalement à l’aise (rare dans l’opéra contemporain) et de ne pas surligner les affects. Mozart et Da Ponte ne les auraient certainement pas désavoués. 
François Lafon 

Philharmonie de Paris, Grande Salle Pierre Boulez, 14 février - 30ème Festival Présences, jusqu’au 16 février - Disponible sur www.francemusique.fr (Photo © Chris Christodoulou)

vendredi 14 février 2020 à 20h03
Créé au printemps 1995 à Berkeley (Californie) et repris dans la foulée en France, à la Maison de la Culture de Bobigny (Seine-Saint-Denis), le troisième ouvrage lyrique du compositeur américain surprit quelque peu à l’époque. Ni opéra ni comédie musicale, I Was looking at the ceiling and then I saw the sky lorgnait en réalité du côté du rock, comme Gershwin et Weill, cinquante ans plus tôt, intégraient le langage populaire de leur époque. Repris un quart de siècle plus tard par l’Opéra de Lyon, l’ouvrage s’est plutôt bonifié et les « louables » intentions du livret, écrit par June Jordan, qui évoquait – pas toujours avec finesse, il est vrai – à la fois les brutalités policières, le racisme, l’émigration et les problème sociaux, à l’aune du tremblement de terre de Los Angeles, en 1994, trouvent hélas encore des correspondances avec le monde actuel. S’appuyant sur son « ressenti d’immigré », le metteur en scène d’origine roumaine Eugen Jebeleanu offre une interprétation d’une lisibilité immédiate – ce qui n’était pas le cas pour les spectateurs de la création, plongés dans un spectacle sombre et d’une gravité pesante, avec en outre des personnages dédoublés par des danseurs (…).
L’homme de spectacle joue à fond la carte musicale : il épouse le rythme soutenu de la partition, renouvelant la scénographie pour chacune des chansons (au total, vingt-trois), à partir de la scène sur le devant, et des trois pièces d’un appartement éclaté au-dessus de l’orchestre. Deux guitaristes, un batteur, un saxophoniste, une clarinettiste, un contrebassiste et trois claviers, dont deux synthétiseurs et un piano : l’ensemble instrumental et les solistes du Studio de l’Opéra de Lyon swinguent avec une justesse et une clarté sonore grisantes sous la baguette de Vincent Renaud. Nul temps mort pour cette partition destinée avant tout – et surtout ! – à des chanteurs et comédiens familiers de la pop, de la soul et du jazz.
Il n’empêche que la partition gagnerait à être allégée d’une bonne vingtaine de minutes, sur une durée originale d’une heure cinquante : La poétesse a voulu « trop bien faire » et le musicien a beau fourbir une grande variété de numéros, plusieurs frisent le cliché. Et ce n’est peut-être pas un hasard si le premier enregistrement de cet ouvrage, sous la baguette du compositeur, opérait une sélection, passant de vingt-trois à quinze numéros… Mais qu’importe, car la palme revient sans hésiter à la formidable équipe vocale réunie pour l’occasion, féminine, avec Axelle Fanyo (Leila), Clémence Poussin (Consuelo) et Louise Kuyvenhoven (Tiffany) et masculine, avec Alban Zachary Legos, Aaron O’Hare et Christian Joel.   
 
   Franck Mallet

Le 13 février 2020, à Lyon 4e, Théâtre de la Croix-Rousse (Photo © Opéra de Lyon-Blandine Soulage)

Prochaines représentations : 15, 16, 18, 19, 20, 22 et 23 février, Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon, 4e

Ouverture à l’Auditorium de Radio France du 30ème festival Présences, consacré cette année à Sir George Benjamin, lequel fête son 60ème anniversaire. Pas d’autre trace de numérologie dans ce programme confrontant en dix journées quatre-vingt-deux œuvres de cinquante-sept compositeurs, parmi lesquelles une douzaine de Benjamin lui-même, à commencer par les deux premiers des trois ouvrages lyriques qui ont achevé de consacrer celui que son maître Olivier Messiaen appelait "le Petit Mozart anglais" : Into the Little Hill (2006) et Written on skin (2012). Une ombre opératique qui plane sur ce premier concert, qu’il dirige lui-même à la tête de l’Orchestre National. Son Palimpsests, dédié à Pierre Boulez en 2002, installe déjà une atmosphère théâtrale, une superposition d’atmosphères faisant sens à la manière de ces textes accumulées au moyen-âge sur des parchemins plusieurs fois réutilisées, et dont les bribes forment de véritables cadavres exquis. Avant cela la Toccata efflorescente de la compositrice franco-suisse Claire-Mélanie Sinnhuber fait valoir (c’est son rôle de toccata) la pianiste Vanessa Benelli Mosel, que l’on aura entendue en première partie dans un autre moment de théâtre crypté, le concerto Duet de Benjamin (2008), réflexion sur l’incompatibilité pourtant si compatible du piano et de l’orchestre (les sons du premier mourant sitôt émis tandis que le second remplit durablement l’espace), lui-même mis en regard d’un autre concerto paradoxal pour piano: Left, Alone (plusieurs traductions possibles) du Danois Hans Abrahamsen, morceau de bravoure pour main gauche et orchestre joué avec autorité par son dédicataire Alexandre Tharaud. Mais de ce programme soigné, c’est bien la pièce d’ouverture, Ravel à son âme de Gérard Pesson (2013) qui éveille le mieux l’imagination de l’auditeur, six minutes de bonheur au cours desquelles des envolées d’orchestre que l’on jurerait ravéliennes débouchent sur des paysages inattendus peuplés de chants d’oiseaux et de boites à musique échappées de la chambre de L'Enfant (et les sortilèges),  palimpseste là encore en forme de tombeau du grand Maurice, où l’on se prend déjà à rêver que Benjamin-chef et le National se retrouvent plus souvent. 
François Lafon 

Festival Présences, Maison de Radio France, Philharmonie de Paris, du 7 au 16 février. Concerts en direct sur France Musique, disponibles en www.francemusique.fr (Photo © Christophe Abramowitz)

Ah si Louis XIV avait pu imaginer ça ! L’insolence de la clarinette dans le Trio de Beethoven, les tourments romantiques de Brahms, les hésitations de Schubert, voilà sans doute qui l’aurait fait sauter au plafond, lui qui était plutôt habitué aux musiques plus policées. Dans le Grand Salon de l’Hôtel des Invalides, le Roi-Soleil n’est pas au plafond mais au mur, et c’est sous son portrait (une copie du célèbre tableau par Hyacinthe Rigaud), que Beethoven, Brahms et Schubert se sont succédés avec des musiciens venus de France ou de Corée, réunis pour l’occasion. Dans un contexte où la complicité n’est pas évidente, les interprètes jouent plutôt à l’énergie, ce qui donne parfois des climax ébouriffants. Dans le Trio n°3 de Brahms, en revanche, Akiko Nanashima, Philippe Muller et Jacques Gauthier, qui ont déjà joué ensemble, régalent par leurs sonorités très « brahmsiennes » fougueuses ou mélancoliques, et leur façon d’évoluer dans les méandres du plus difficile des Trios de Brahms. En clôture de ce concert, une Truite de Schubert, quintette irrésistible, où se distingue, au violoncelle, le Coréen Young-Chang Cho.
Gérard Pangon
 
Paris - Hôtel des Invalides 3 février (Photo : les interprètes de Brahms © DR)

dimanche 2 février 2020 à 19h34
Paris, salle Gaveau : Orphée en quête de son Eurydice chante son désespoir et laisse couler ses larmes. Pour l’accompagner dans sa douleur, ils sont une petite vingtaine, issus de deux ensembles complices, A nocte temporis et Vox Luminis, qui après leur magnifique enregistrement tout juste paru (voir ici) donnent vie à la musique de Marc-Antoine Charpentier. Sur scène, leur connivence est palpable, ils échangent des regards, des sourires, des gestes furtifs : Louis Creac’h au violon et Myriam Rignol à la viole se lancent un coup d’œil et soulignent d’un petit coup d’archet leur bonheur d’avoir franchi un passage délicat ; Reinoud van Mechelen (Orphée) et Lionel Meunier (Apollon), les deux chefs de bande, se regardent dans les yeux pour sceller leur complicité vocale. Entre les deux pièces de Marc-Antoine Charpentier, Orphée descendant aux Enfers, en forme d’élégie pour trois voix, et La Descente d’Orphée aux Enfers, un opéra de chambre, les musiciens interprètent la Sonate a huit du même, petit bijou de la musique instrumentale baroque. Cette suite à la française aux parfums italiens jongle avec les timbres des huit instruments, les fait jouer tous ensemble, puis associe les flûtes et les violons ou laisse à la viole une belle partie de soliste ou donne au théorbe un rôle prépondérant. C’est un jeu de cache-cache ou de colin-maillard, parsemé de retrouvailles et de chassés-croisés, où se mêlent confidences et instants de partage avec, à l’évidence, le plaisir, ô combien communicatif, de jouer tous ensemble.
Gérard Pangon
 
Paris, salle Gaveau 30 janvier (Photo : L. Meunier © Robert Buckland et R. Van Mechelen © Senne Van der Ven)
 
Création parisienne à l’Athénée – huit jours après la création mondiale à Compiègne – des Bains Macabres, opéra comique d’Olivier Bleys (livret) et Guillaume Connesson (musique). Un opéra comique en guise de premier ouvrage lyrique, rien que de logique de la part de ce dernier, souvent qualifié de « néo » par les gardiens du temple (néo-)Darmstadtien. Du néo- actualisé tout de même que cette fantaisie fantastico-policière, où l’on file la romance avec les morts via Internet, et où l’on utilise des baignoires magiques pour passer d’un monde à l’autre, subterfuge que n’auraient désavoué ni Cocteau ni Fellini. Pas d’effets Ircam bien sûr pour repousser les frontières de l’impossible, mais une « formation Mozart » (les excellentes Frivolités Parisiennes) enchaînant airs, duos, trios et chœurs, avec dialogues parlés comme au bon vieux temps. Une musique savante et volontiers volubile – orchestration riche « à la française » et ligne de chant empruntant à Debussy autant qu’à Messager -, alternant (et même superposant) le bouffe et le sérieux, parsemée de « à la manière de… », amadouant le texte de Bleys à la fois quotidien et savamment contourné (clin d’œil, là aussi, aux librettistes du passé ?). Tout cela mis en scène par Florent Siaud entre Meliès et Branquignols, bonne farce pas si drôle donnant le ton de ces bien nommés « Bains Terminus » où se frôlent l’en-deçà et l’au-delà sous la houlette d’un directeur plutôt occupé à harceler (#Me Too ?) sa jolie donneuse de soins. Plateau impeccable et monté sur ressorts mené par le couple Sandrine Buendia - Romain Dayez en amoureux inter-mondes, chœur Les Eléments ajoutant au sérieux de l’entreprise, direction elle aussi « label-qualité » d’Arie Van Beek. 
François Lafon 

Théâtre de l’Athénée, Paris, jusqu’au 6 février. Le 15 février au Théâtre à l’Italienne de Saint-Dizier (Photo © Nicolas Descoteaux)
 
 

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