Reprise, au Théâtre des Champs-Elysées, de La Flûte enchantée dans la production voyageuse (Bruxelles, Naples, Aix, Lille, Rouen, Caen, etc.) de William Kentridge, Laurent Pelly, initialement prévu, ayant déclaré forfait pour cause de surbooking. En 2009 au festival d’Aix, René Jacobs était au pupitre : un somptueux théâtre pour l’oreille, soutenu par les images mouvantes en noir et blanc du plasticien metteur en scène. Cette fois, c’est Jean-Christophe Spinosi qui est aux commandes, et la perspective est inversée : c’est le spectacle qui vient en aide à la musique. Aux tempos fous du chef, aux dérapages de l’orchestre, le ballet de transparences et de projections qui anime ce spectacle par ailleurs assez sage apporte un semblant de cohérence. Mais en ce 22 décembre (4ème représentation), devant une salle bondée, les chanteurs ont la voix dans les chaussettes, et les trouvailles de Kentridge ne suffisent plus. De ce dernier, guettez plutôt l’époustouflante mise en scène du Nez de Chostakovitch, créée à New York et déjà passée par Aix et Lyon.
François Lafon
Sous la pyramide du Louvre, devant un parterre assis par terre, Pierre Boulez dirige Schoenberg et Bartok avec l’Orchestre de Paris. L’année dernière, c’était L’Oiseau de feu de Stravinsky : même public, plus jeune que celui de Pleyel, peut-être moins argenté (l’entrée est gratuite : deux heures de queue) mais non moins choisi. « Assis ! » entend-on alors que l’orchestre n’est pas encore placé. Le matin, sur une antenne de la radio nationale, Boulez affirmait qu’il comprenait très bien que l’on n’ait pas envie d’entrer dans une salle de concert. Il ne la joue pas cool pour autant. Salut bref et l’orchestre attaque. Nuances infinies dans La Nuit transfigurée (Schoenberg), rythme et couleurs en fête dans le Concerto pour orchestre (Bartok). Peu de déperdition sonore dans cette salle des pas perdus en verre et béton : orchestre en état de grâce et chef au zénith. Demain, même programme à Pleyel, avec en prime le 2ème Concerto pour piano de Bartok (soliste : Bertrand Chamayou). Ce soir, le timbre du piano et le postérieur des spectateurs n’y auraient pas résisté.
François Lafon
Photo © Olivier Debien
La compagnie Les Brigands fête son dixième anniversaire au théâtre de l’Athénée. Au programme : La Botte secrète (1903) de Claude Terrasse sur un livret de Franc-Nohain. C’est une histoire leste qui se passe dans un magasin de chaussures, haut lieu du fantasme coquin (voir Dédé d’Henri Christiné et Baisers volés de François Truffaut). Voilà donc dix ans que Les Brigands enchaînent les opérettes qui faisaient glousser nos arrière-grands-parents, pour le bonheur toujours plus grand d’un public toujours plus nombreux. Leur recette : en rajouter dans le nonsense, pratiquer l’anachronisme, cultiver le décalage, tout en préservant l’esprit parisien d’avant-guerre, à la fois bête et fin, naïf et vachard. Clou de La Botte secrète : un duo entre une princesse et un égoutier. Refrain : « Toute à l’égout ! ». En seconde partie (mais sans entracte) : revue d’anniversaire. La compagnie au grand complet offre des extraits de son répertoire. Pas de voix exceptionnelles, mais une énergie qui fait du bien. Entendu à la sortie : « Par les temps qui courent, Intouchables et ça, on en a bien besoin ». Comme dit Ionesco dans La Cantatrice chauve : « Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux ».
François Lafon
La Botte secrète. Mise en scène Pierre Guillois, direction Christophe Grapperon. Théâtre de l’Athénée, Paris, jusqu’au 8 janvier.
Doté de nombreux chœurs et ballets, Amadis de Gaule reste l’opéra le plus ambitieux, le plus varié et le plus coloré de Johann Christian, le cadet des fils Bach : tragédie lyrique dans la lignée de Gluck certes, mais Mozart n’est pas loin. Dernier opéra de J.-C. Bach, créé à Paris le 14 décembre 1779, l’ouvrage est un remake de l’Amadis de Lully (1684), composé sur le même livret de Quinault, d’après un roman de chevalerie espagnol du XIVe siècle. Les six représentations données à Versailles et à Paris sont les premières en France depuis 1779-1780. L’œuvre mérite amplement cette résurrection, et l’on apprécie qu’elle n’ait pas fait l’objet d’une quelconque actualisation : les décors et les costumes respectent l’époque, comme les ballets très XVIIIème. Les chanteurs sont de qualité et l’orchestre est rompu à ce style. Les retouches apportées aux ballets terminant les deux derniers actes sont, toutefois, assez frustrantes : supprimer la gigue entrainante de la fin de l’acte II et déplacer le tambourin - l’un des clous de la partition - pour le faire revenir à la fin du III n’est pas du meilleur effet. L’intérêt et la beauté du spectacle ne sont pas en cause, mais si l’œuvre doit faire l’objet d’un enregistrement…
Marc Vignal
Mise en scène : Marcel Bozonnet ; Chorégraphie : Natalie van Parys ; Direction musicale : Jérémie Rhorer
10 et 12 décembre 2011 : Opéra Royal, Versailles ; 2, 4, 6 et 8 janvier 2012 : Opéra Comique, Paris
Reprise de The Sound of Music ( La Mélodie du bonheur ) au Châtelet, un succès déjà il y a deux ans. Inutile de comparer cet increvable hit avec les autres classiques du genre donnés in loco (A Little Night Music, Sweeney Todd, My Fair Lady). Comme le film de Robert Wise, plus que lui, même, le musical nage dans le sirop. Tout y est sucré : l’histoire du baron Trapp, qui épouse la novice déléguée par le couvent voisin pour s’occuper de ses sept enfants et fait entrer la musique, donc la joie dans la maison, les refrains de Richard Rodgers, plus mièvres les uns que les autres, le vert tendre des collines salzbourgeoises, qui sert de fond au décor. Mais il faut croire que le sucre est une drogue, car on sort de là tout propre, tout enfant, en fredonnant Do-ré-mi ou (pire) My Favourite Things. On se rassure en énumérant les qualités du spectacle : cast impeccable, mené par Katherine Manley (Maria) et William Dazeley (le Baron), mise en scène « tradition dépoussiérée » d’Emilio Sagi, avec un effet final (l’Anschluss, mars 1938) habilement angoissant. Il y a même un personnage intriguant dans cette aventure inspirée d’une histoire vraie : Max, l’imprésario qui crée un festival de musique et pactise avec les nazis. En 1938, Max Reinhardt, le créateur du festival de Salzbourg, a dû, lui, fuir en Amérique.
François Lafon
Au Châtelet, Paris, jusqu’au 1er janvier 2012
Mélodies et lieder de Liszt, à l’Amphithéâtre Bastille, par l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris. Salle pleine, comme pour les spectacles scéniques : l’Atelier est devenu une institution à la mode. Neuf des douze stagiaires, dont quatre nouveaux, se livrent à l’exercice périlleux du récital. Un piano, une présence, une voix, et rien pour se rattraper, qui plus est dans le cadre glacial de cet amphi en sous-sol. Le niveau général est bon, et quelques personnalités explosent : le ténor Cyril Dubois, qui enchaîne les virtuosissimes Trois Sonnets de Pétrarque avec une aisance de grand pro, le baryton Michal Partyka, la soprano Andreea Soare, et bien sûr la mezzo Marianne Crebassa, Orphée de Gluck mémorable la saison dernière, et qui donne cette fois un Mignons Lied d’anthologie. On sort débarrassés de quelques préjugés : de Pétrarque à Goethe, de Musset à Hugo, Liszt a inventé un monde mélodique à la mesure de son éclectisme, et qui n’a pas grand-chose à envier à Schubert, Schumann ou Wolf. Pour en faire le tour, neuf voix prometteuses et quatre pianistes ne sont pas de trop. Quelle autre institution peut offrir cela à son public ?
François Lafon
Marianne Crebassa
Récital, à l’Auditorium du Louvre, du pianiste espagnol Luis Fernando Pérez, alors que paraît chez Mirare son enregistrement des Goyescas de Granados. Très jeune, très vieux ce personnage longiligne qui arrive à petit pas rapides et se lance, penché sur le clavier, dans une série de Lieder de Schubert et de Schumann transcrits par Liszt ? L’artiste est plein de surprises : fantasque sous ses airs sérieux, bouillant et analytique en même temps. Il se révèle vraiment avec la Mort d’Isolde… transcrite par Liszt (le récital fait partie de la série Au fil de Liszt), qu’il détricote et retricote avec une agilité incroyable. Puis vient une Rhapsodie espagnole (de Liszt bien sûr) qui ferait danser un public moins correct, prélude à de larges extraits d’Iberia d’Albeniz, en seconde partie. Pourquoi Albeniz ? Parce qu’il a failli rencontrer Liszt à Barcelone en 1880, ou plutôt, comme le montre Pérez, parce que, comme Liszt, il repoussé les limites du piano ? Jouée ainsi, en tout cas, cette musique complexe tourne au feu d’artifice. A propos, Luis Fernando Pérez est très vieux et très jeune : il a trente-quatre ans.
François Lafon