Mardi 23 avril 2024
Concerts & dépendances
Escale au théâtre de l’Athénée - après une première à Caen et avant  tournée - de Cupid and Death (1653), mask de Christopher Gibbons et Matthiew Locke (musique) sur un texte de James Shirley d’après Esope. Forcément un drôle de spectacle, puisqu’on ne sait pas exactement de quoi avaient l’air ces oeuvres typiquement britanniques où se mêlaient théâtre, musique, danse et grands effets décoratifs. Ce mask-ci a beau être le seul dont on ait retrouvé le livret et la musique intacts, il n’en sollicite pas moins un art du contre-pied dans lequel le metteur en scène Jos Houben et sa complice Emily Watson sont passés virtuoses. Panneaux de contre-plaqué et costumes pêchés au grenier donc, atmosphère de joyeux monôme et clins d’œil au public, le luxe inhérent au genre étant confié aux bon soins d’une troupe où comédiens, chanteurs et instrumentistes de l’Ensemble Correspondances dirigé par Sébastien Daucé se révèlent encore une fois multitâches, véritables Fregoli du spectacle. Le sujet s’y prête, où l’on nous raconte l’histoire d’un chambellan facétieux intervertissant les flèches de l’Amour (Cupid-on) et de La Mort (Death), entraînant un tête-à-queue planétaire où les ennemis se tombent dans les bras les uns des autres, où les jeunes sont voués à mourir tandis que les vieux ne pensent qu’à courir le guilledou, Mercure lui-même devant intervenir pour rétablir l’ordre. Et tout cela offert par le très puritain Cromwell à l’ambassadeur du Portugal à Londres… Davantage que dans le déjanté scénique (on en a vu d’autres, le délirant Crocodile trompeur, Didon et Enée - voir - tenant toujours la palme) c’est dans la musique que réside la révélation : que de belles choses imaginées par le duo Gibbons/Locke, superbement mises en valeur par Daucé et ses troupes avec des solistes tels que la toujours stupéfiante Lucile Richardot, parfaite en Dame Nature n’y retrouvant pas ses petits. 
François Lafon

Théâtre de l'Athénée Louis-Jouvet, Paris, jusqu'au 27 novembre. Tournée jusqu'au 1er octobre 2022 (Photo © Alban Van Wassenhove)

lundi 8 novembre 2021 à 00h15
Au Théâtre des Arts – Opéra de Rouen : La Vie parisienne mis en scène, décoré et habillé par Christian Lacroix. Un événement qui en cache un autre car l’opéra-bouffe que les offenbachiens croient connaître dure ici trois heures et révèle une autre envergure que l’habituel enchaînement de tubes transcendant un livret gentiment bâclé. C’est qu’à la création en 1866 (dans la perspective de l’Exposition universelle de 1867), le compositeur et ses librettistes Meilhac et Halévy ont dû s’adapter : contrainte de la censure et  couplets adaptés aux moyens vocaux et musicaux limités des comédiens du Théâtre du Palais-Royal. Des coups de ciseaux et adaptations diverses, qui n’ont pas empêché l’ouvrage de remporter un triomphe, lequel, de reprise en reprise, a contribué à aggraver le massacre. A la Bibliothèque Nationale et (entre autres) dans les fonds des Théâtres du Palais-Royal et des Variétés dormait, en kit, l’ouvrage rêvé par ses auteurs, aujourd’hui reconstitué par les experts du Palazzetto Bru Zane. Le résultat est impressionnant car les passages ressuscités ne sont jamais inférieurs au reste (grande polémique, cela dit, sur le bien-fondé de ce travail avec le spécialiste d’Offenbach Jean-Christophe Keck). Les incohérences du livret disparaissent aussi, mais au prix du (relatif) ralentissement d’une action qui doit galoper au rythme de la musique. Pour ses débuts de metteur en scène, Christian Lacroix mise sur deux univers : le cirque et le cabaret, prenant Eiffel comme référence picturale et restituant le côté « dépliant publicitaire » (touristes, venez à Paris !) de l’ouvrage, mais laissant paraître en filigrane la face cachée de la Ville lumière, hôtel géant chassant les « vrais » habitants (suivez mon regard…), et épinglant une société où les maîtres ne sont plus que la caricature de leurs domestiques… et vice-versa. Distribution introuvable, où chacun joue aussi bien qu’il chante, autour formidable duo de fêtards Marc Mauillon – Flannan Obé (Bobinet et Gardefeu), avec mention spéciale à Aude Extrémo  (Métella la demi-mondaine) et Franck Leguérinel (savoureux Baron suédois venu s’encanailler), sous la direction tout feu tout flamme du jeune Romain Dumas à la tête du Chœur Accentus et  de l’excellent Orchestre de l’Opéra de Rouen – Normandie. 
François Lafon 
Opéra de Rouen – Normandie, jusqu’au 13 novembre – Opéra de Tours, du 3 au 7 décembre – Théâtre des Champs-Elysées (Paris), du 21 décembre au 9 janvier. Double distribution, 3 Choeurs et 3 Orchestres (à Paris : Les Musiciens du Louvre et Chœur de Chambre de Namur) (Photo : Guillaume Benoit/Opéra de Rouen Normandie)

Création à l’Opéra Comique de Les Eclairs, « drame joyeux » (« dramma giocoso », comme Don Giovanni ?) de Philippe Hersant sur un livret (et d’après le roman) de Jean Echenoz. C’est l’histoire pas si joyeuse du savant fou Nikola Tesla (1856-1943), développeur entre autres du courant alternatif, se donnant à juste titre comme bienfaiteur de l’humanité mais incapable de faire fructifier ses idées, lesquelles seront exploitées par plus réalistes que lui, le peu scrupuleux Thomas Edison en tête. Un sujet dans l’air du temps, alors que la pièce La Machine de Turing (autre génie « différent » et méconnu) tient l’affiche à Paris depuis plusieurs saisons. Un projet peu commun en plus, le livret étant antérieur à la musique, elle-même composée par Philippe Hersant durant le premier confinement en 2020. Mais l’ensemble se tient et témoigne - après tant d’années de déconstruction de l’opéra - de l’actuel retour aux fondamentaux du genre, fussent-ils revisités : citations bien choisies et échos de Broadway pour Hersant, esthétique alla Patrice Chéreau revue par Hergé pour la fluide mise en scène de Clément Hervieu-Léger, montage cinéma (on croirait un scénario) pour le livret d’Echenoz. Air du temps là encore, dans le sillage - toutes proportions gardées - du très cinématographique Innocence de Kaija Saariaho (voir ici). Bravo à Hersant cela dit, que l’on savait musicien-dramaturge depuis son Château des Carpathes d’après Jules Verne en… 1992 : pas une note qui ne soit expressive, sens des timbres (une de ses spécialités) et des masses orchestrales (jamais les chanteurs ne sont couverts), naturel des phrasés (on ne perd pas un mot) et jeu des voix et des instruments évoquant plus d’une fois le meilleur Poulenc. La scène finale, où la musique semble se dématérialiser tandis que Tesla (devenu Gregor, comme dans L’Affaire Makropoulos de Janacek) coupe définitivement les amarres et se perd dans ses rêves d’oiseaux et d’extraterrestres, est un modèle du genre. Plateau sans faille sous la direction vif-argent d’Ariane Matiakh à la tête du Philharmonique de Radio France, avec mention spéciale pour Jean-Christophe Lanièce (Tesla/Gregor), André Heyboer (le méchant Edison) et Marie-André Bouchard-Lesieur (la femme qui tente vainement de faire redescendre le héros sur terre). 
François Lafon 
Opéra Comique, Paris, jusqu’au 8 novembre. En différé sur France Musique le 1er décembre, et ultérieurement sur TV5 et sur le site d’Opéra Vision (Photo © Stéphane Brion)

 

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