Jeudi 28 mars 2024
Concerts & dépendances
Au festival de Saint-Denis : Gurrelieder de Schönberg dirigé par Esa-Pekka Salonen avec le Philharmonia Orchestra. Double anniversaire, triple même : le cinquantième du festival (d’où la programmation, plus luxueuse encore que de coutume) et le soixantième du chef, lequel est depuis dix ans principal conductor du Philharmonia. Œuvre monstre digne de l’occasion, requérant un orchestre énorme, des chœurs nombreux et cinq solistes au format wagnérien, plus un (ici une) récitant(e) expérimentant un sprechgesang encore éloigné de celui de Moïse et Aaron.  Car Schönberg avait vingt-six ans lorsqu’il commença cette cantate-symphonie-suite de lieder inspirée d’une légende danoise, opéra sans images, wagnérisant, mahlérisant et chromatisant, poussant le système tonal jusqu’à un point de non-retour dont il assumera les conséquences en inventant la « nouvelle musique ». Ironie du sort : ce n’est qu’onze ans plus tard (1911) qu’il termina l’ouvrage (on sent, dans l’orchestration, le passage du temps), créé en 1913 sous la baguette de Franz Schreker, lui valant un triomphe qui ne lui fit pas autant plaisir qu’il l’aurait dû de la part d’un public qui entre temps ne l’avait pas suivi dans ses expériences d’« atonalité libre ». Tout cela, Salonen le prend en compte, impressionniste quand il le faut (Schönberg recherchait moins l’effet de masse que les alliages de timbres), fulgurant dans les ruptures de ton, maîtrisant l’acoustique … d’église de la basilique, sans jamais verser dans la sentimentalité ni dans les transes que permettrait cette histoire d’amour brisé débouchant sur la chevauchée désespérée d’une armée de spectres. Orchestre et chœurs superlatifs, plateau vocal équilibré à défaut d’être exceptionnel - presque celui que Salonen avait dirigé à Pleyel en 2014 -, avec Robert Dean Smith, plus Tristan que jamais, Michelle DeYoung, plus impressionnante qu’émouvante en Ramier colporteur de mauvaises nouvelles, l’actrice Barbara Sukowa toujours unique en récitante délirante et Camilla Tilling remplaçant Alwyn Mellor, jolie voix un peu juste dans un rôle marqué naguère par Jessye Norman. 
François Lafon

Basilique de Saint-Denis, 26 juin. Festival de Saint-Denis, jusqu’au 5 juillet (Photo © HSBenjamin Suomela)

lundi 25 juin 2018 à 22h42
Musique de chambre à l’Athénée, dernier concert de la saison : Winds par le Quintette à vent du Balcon. Cela commence benoitement par le Quintette pour piano et vents op. 16, où le jeune Beethoven devient le grand Beethoven tout en étant encore un classique. Au piano, Michael Levinas, virtuose et compositeur. Mais comme Le Balcon est aux commandes, la suite ne peut être qu’inattendue : sur écran géant, une jeune femme écoute, se penche vers les musiciens, elle-même géante devant un mur de livres, entourée de documents relatant l’histoire de … l’Athénée. Il s’agit de la flûtiste Claire Luquiens en direct de la Bibliothèque Nationale (site Richelieu), qui entonne Incantare, création mondiale pour flûte et électronique de la compositrice et chanteuse lituanienne Justina Repeckaite. Arrive alors le moment le plus balconesque : le trajet de l’artiste en temps réel jusqu’à … l’Athénée, vingt minutes de marche (création vidéo : David Daurier) accompagnées de Woyzeck, œuvre obsessionnelle et obsédante de Claude Vivier, Québécois surdoué assassiné à Paris en 1983, à trente-quatre ans. En guise de final, avec Claire Luquiens en chair et en os : Il silenzio degli oracoli de Salvatore Sciarrino, courte pièce inspirée de Plutarque où le son des instruments et l’air qui les traverse évoquent magiquement ledit silence. Justina Repeckaite se dit inspirée par Gérard Grisey, comme Claude Vivier l’était par Tristan Murail, membres créateurs avec Michael Levinas de l’Ensemble L’Itinéraire. Comme quoi il y a toujours une logique dans les programmes fous du Balcon.
François Lafon

Théâtre d l’Athénée, Paris, 25 juin (Photo © Le Balcon)

A l’Athénée, final du 6ème festival Palazzetto Bru Zane avec Les P’tites Michu d’André Messager par la compagnie Les Brigands, qui retrouve à cette occasion son port d’attache historique. Une opérette Belle Epoque (1897) dont le succès remonta le moral du compositeur, lequel venait de faire un four avec un Chevalier d’Harmental en lequel il croyait bien davantage. Drôle d’image posthume que la sienne : qui dit Messager aujourd’hui s’empresse de préciser qu’outre les œuvres légères dont il a ravi les boulevards, il a été directeur musical du Covent Garden à Londres, à Paris de l’Opéra et de l’Opéra Comique, où il a entre autres créé Pelléas et Mélisande. Et d’ajouter que pour être moins ambitieuse, sa propre musique est un modèle d’élégance et de raffinement. On le constate en écoutant ces P’tites Michu musicalement bien au-dessus des standards du genre, et dont le livret manie en tout bien tout honneur des problématiques dépassant elles aussi lesdits standards. Outre que c’est de là que, via la « réclame », vient le nom de Michu comme ancêtre de Bidochon et de Tuche, on reconnait dans cette histoire de sœurs inséparables issues du Carreau des Halles dont l’une (mais laquelle ?) se révèle fille de général une lointaine préfiguration de scénarios plus sérieux (le roman de Jacques Grimbert Un Secret) ou plus épicés (La Vie est un long fleuve tranquille, le film d’Etienne Chatiliez). Transposé par le metteur en scène Rémy Barché de l’Empire à notre époque dans une esthétique vintage décalée mâtinée de bande dessinée (la tradition Brigands), l’ouvrage se retrouve un peu hors-sol et avoue ses longueurs (des coupures dans le texte parlé auraient été bienvenues) en dépit de l’énergie de la troupe – formidables acteurs-chanteurs en tête desquels le duo des sœurs Anne-Aurore Cochet - Violette Colchi et Marie Lenormand en fille spirituelle de Maillan et Balasko – et de l’ensemble instrumental jouant la « version de chambre » due à Thibault Perrine dirigée par Pierre Dumousseau. Pas autant de rires qu’on l’aurait attendu dans la salle, mais gros succès au rideau final.
François Lafon 

Théâtre de l’Athénée, Paris, jusqu’au 29 juin (Photo©Nemo Perier Stefanovitch)
 
dimanche 17 juin 2018 à 11h14
Debussy et Sibelius ? Une relation importante mais à sens unique. Nés à trois ans d’intervalle, ils se rencontrent à Londres en février 1909 lors d’un concert dirigé par Debussy. Sibelius en fait état dans son journal et dans une lettre à sa femme. En janvier 1914, il assiste à Berlin à un récital de piano avec au programme L’isle joyeuse et La Fille aux cheveux de lin : « Tout à fait sous le signe du neuf », juge-t-il. Le nom de Sibelius, au contraire, n’apparaît nulle part dans les écrits de Debussy : sans doute n’eut-il  jamais l’occasion d’entendre Le Cygne de Tuonela, donné  plusieurs fois à Paris entre 1900 et 1914. Le piano n’a pas la même importance chez Sibelius que chez Debussy, mais Leif Ove Andsnes ouvrit en beauté un récent concert à Radio France avec des pages des deux compositeurs : deux de Sibelius, dont le très curieux Le Berger opus 58 n°4, et Estampes de Debussy. Il tint ensuite la partie de soliste, en complicité avec l’Orchestre Philharmonique, dans la Fantaisie pour piano et orchestre de l’auteur du Faune : œuvre de jeunesse (1889-1890) fortement influencée par Vincent d’Indy et sa Cévenole, créée à titre posthume (1919) et depuis rarement donnée, sorte de « pseudo-concerto » sans virtuosité transcendante. La Première Symphonie de Sibelius (1899-1900) n’est pas un ouvrage « debussyste », ce que seront dans une certaine mesure  Les Océanides, la Sixième Symphonie ou encore Tapiola. Jouée après l’entracte, toujours sous la direction du jeune chef finlandais Santtu-Matias Rouvali, elle regarde surtout vers la Russie tout en témoignant d’une personnalité affirmée. Intéressante rencontre de deux compositeurs plus, en l’occurrence, que de leur musique.
Marc Vignal
 
Auditorium de Radio France, 8 juin (Photo © DR)
 
dimanche 10 juin 2018 à 01h38
Entrée de Don Pasquale de Donizetti au répertoire de l’Opéra (Palais Garnier), cent-soixante-quinze ans après sa création au Théâtre italien de Paris. Un dramma buffo musicalement plus complexe que ne le laisseraient penser les entraînantes mélodies dont il est parsemé, et dramatiquement plus dramma que buffo sous ses airs de joyeuse comédie. C’est ce qu’a tenté de mettre en valeur le metteur en scène Damiano Michieletto – connu in loco pour un Barbier de Séville réussi (voir ici) et un Samson et Dalila moins heureux (et ) –, jusqu’à l’image finale où l’on voit le barbon prétendant à l’amour d’une belle dans une maison de retraite, entouré de vieilles dames pomponnées. Comme Le Barbier, Don Pasquale est transporté dans l’univers de Dino Risi : maison étriquée aux portes aussi nombreuses qu’inutiles, Fiat années 1950 devant la porte, luxe tape-à l’œil quand s’installe la pseudo-épouse commise à rendre la vie impossible aux vieux présomptueux, le tout agrémenté de scènes filmées en incrustation (illusion – désillusion). Michieletto a voulu étoffer la fable, ce qui se comprend, mais Don Pasquale n’est pas La Femme silencieuse de Richard Strauss (sur un sujet similaire, mais librettisé par Stefan Zweig d’après Ben Johnson) et l’ouvrage s’en trouve plus agité que dynamisé. Heureusement le chef Evelino Pido, spécialiste de ce répertoire, veille au rythme et conduit l’orchestre telle une Formule 1, au risque de sacrifier l’élégance post-rossinienne de la musique. Mêmes références dans la direction d’acteurs :  Michele Pertusi est un Pasquale musicalement stylé mais jouant « cinéma », assez loin des grands bouffons alla Gabriel Bacquier, Florian Sempey (un futur Don Pasquale ) joue l’intriguant Malatesta en double de Figaro (son rôle fétiche), Nadine Sierra soigne son look (quelque chose de Natalie Wood) au moins autant que ses vocalises, alors que les allures hip-hop de John Brownlee n’influent en rien sur ses qualités de ténor de grâce. Ovation au rideau final, comme une libération des soucis quotidiens, ce que n’a pas dû manquer de remarquer le premier ministre, ce soir présent dans la salle. 
François Lafon 

Opéra National de Paris – Palais Garnier, jusqu’au 12 juillet. En direct au cinéma et sur Culturebox le 19 juin
 (Photo © Vincent Pontet/OnP)


vendredi 8 juin 2018 à 01h03
Nouvelle production de Boris Godounov à l’Opéra Bastille. Vladimir Jurowski (direction) et Ivo van Hove (mise en scène) ont préféré la « petite » version originelle en sept scènes (1869) à la « grande » (1874), où Moussorgski joue le jeu du grand opéra comme on l’aimait de son temps. Pour les mêmes raisons qui ont déplu il y a cent-cinquante ans, notre époque est plus séduite par la première, ramassée, elliptique, centrée sur le drame politique et la personnalité du tsar assassin. Plus prospective aussi : on y chante comme on parle (un véritable manifeste esthétique) et la grandeur tragique naît de la situation davantage que de la posture. On pourrait y ajouter un désenchantement historique : le peuple n’y a pas la première place comme il l’a dans la version de 1874, et l’œuvre se termine sur la mort de Boris et non sur la violence collective dans la forêt de Kromy. « Aujourd’hui, je n’ai pas l’impression que la révolte prenne », commente Ivo van Hove. Celui-ci s’autorise de Pouchkine (« J’ai imité Shakespeare dans sa peinture vase et libre des caractères ») pour relier Boris Godounov a ses amours élisabéthaines (voir ici). Au centre, l’« escalier  du pouvoir » selon Jan Kott (Shakespeare notre contemporain), autour, la foule grise et les hommes en complet gris qui la manipulent. Tout cela assez froid, assez figé, clinique presque, aux antipodes de la tradition expressionniste et hallucinée remontant à Chaliapine, jusque dans les projections géantes (concession à la mode mais aussi signature du metteur en scène – voir ses Damnés à la Comédie Française) censées nous faire entrer dans la tête malade du tsar. Même retenue chez les chanteurs, à commencer par Ildar Abdrazakov (Boris) - voix superbe mais charisme parcimonieux - et Ain Anger (Pimène) - plus agent d’investigation que moine justicier. Jurowski aussi joue le jeu, bridant la personnalité volcanique qu’on lui connaît et refusant l’effet au point de paraître par moments diriger la sombre version Chostakovitch en lieu et place de celle de Moussorgski, rugueuse et originale dans tous les sens du terme.
François Lafon

Opéra National de Paris – Bastille, jusqu’au 12 juillet. En direct au cinéma et sur Cluturebox le 7 juin. En différé sur France Musique le 24 juin (Photo © Agathe Poupeney/OnP)

Résurrection à l’Opéra Comique de La Nonne sanglante, dans le cadre du festival Palazzetto  Bru Zane consacré cette année au bicentenaire Gounod. Un titre accrocheur pour ce deuxième essai lyrique du futur compositeur de Faust, adapté d’un épisode du roman gothique de M.G. Lewis Le Moine, mythifié par les romantiques et revivifié au XXème siècle par Antonin Artaud. Rien à voir pourtant avec les exploits gore d’une serial killeuse en cornette : abandonné en cours de route par Berlioz (pourtant initiateur du projet), refusé par Halévy et Félicien David, proposé en vain à Verdi, le livret de Scribe (vite parodié au boulevard sous le titre La Bonne sanglante) est une fable néo-hamlétienne autant que pré-freudienne, où un jeune amoureux jure fidélité au spectre d’une religieuse qu’il confond avec sa bien-aimée, le sortilège qui s’ensuit ne pouvant être conjuré que par la mort de l’assassin de la nonne, lequel se trouve être … le père du jeune homme, qui se sacrifiera pour le bonheur de son fils. Un scénario dans l’air du temps (1854), ni plus ni moins échevelé que bien d’autres, mais qui avait le défaut de ne pas se prêter assez aisément au grand-air-que-l’on-attend. Un siècle et demi plus tard, c’est dans les chœurs, les ensembles ou les intermèdes orchestraux qu’on pressent le « grand » Gounod, le déséquilibre musico-dramatique venant principalement de l’effacement de la plupart des personnages devant le héros de l’histoire, requérant un ténor à l’endurance et aux moyens phénoménaux. Par chance, le phénomène est ce soir Michael Spyres, connu dans Rossini et Berlioz (il ne fait qu’une bouchée de l’Enée des Troyens) et qui fait justement crouler une salle en partie venue pour lui, entouré d’une troupe impeccable (une spécialité maison décidément) où se distinguent Vanina Santoni en Fiancée, Marion Lebègue en Nonne et Jodie Devos en page travesti à l’aigu triomphant. Probablement sollicité pour réitérer le cocktail gagnant (folie romantique + violence contemporaine) de sa Lucrèce Borgia (Victor Hugo) avec Béatrice Dalle, le metteur en scène David Bobée cultive le noir gothique sans quitter un premier degré étonnement prudent, tandis que Laurence Equilbey, à la tête d’un Chœur Accentus exemplaire et d’un Insula Orchestra plus fragile, met en valeur les influences weberiennes de l’ouvrage (Le Freischutz, par moments, n’est pas loin). 
François Lafon

Opéra Comique, Paris, jusqu’au 14 juin. En direct sur Cluturebox le 12 juin (Photo©Pierre Grosbois)

 

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