Débuts à la Philharmonie de Paris de Simon Rattle et du Philharmonique de Berlin, de retour d’une semaine de concerts à Londres. Programme tel que les aime le chef : la 2ème Symphonie « Résurrection » de Mahler, précédé de Tableau pour orchestre d’Helmut Lachenmann, pièce courte qu’il associe dans d’autres concerts à la 9ème du même Mahler, parce que cette musique-là « oscille entre son et forme, émergence et disparition ». Pas mal vu, même si ce Tableau parcourant toute la dynamique de l’orchestre prend des airs d’acclimatation à une salle perfectible mais déjà excellente - ni trop sèche ni trop réverbérée - pour ce genre de musique. On n’en écoute pas moins différemment la Todtenfeier (Cérémonie funèbre) qui ouvre la 2ème, dirigée assez lentement, découpée alla Rattle, c’est à dire avec un sens de l’architecture qui fait apparaître l’étrangeté de cette musique en son temps (1888) et renvoie à sa descendance, Lachenmann en tête. Mêmes motifs d’étonnement dans les mouvements n° 2 (« très modéré ») et 3 (« tranquille et coulant »), auxquels le chef, toujours là où on ne l’attend pas, nous persuade qu’ils recèlent le secret de l’œuvre entière. Après un « Urlicht » chanté de manière assez confidentielle par la mezzo Magdalena Kozena, la longue montée vers la Résurrection évoque davantage l’intimisme géant des Gurre-Lieder de Schoenberg que la préfiguration de la BO de western que tant de maestros s’obstinent à y voir. Triomphe final, pour Rattle, pour le superbe Chœur de la Radio Néerlandaise et pour l’orchestre, d’une sûreté, d’une ductilité, d’une musicalité - quoi qu’on en dise - inaltérées.
François Lafon
Philharmonie de Paris, 18 février Photo © DR
Entracte contemporain au Châtelet : Le Petit Prince de Michaël Levinas, gros succès à Lausanne en novembre dernier. Un opéra pour les enfants, mais pas seulement, comme le conte de Saint-Exupéry dont il s’inspire. Là est évidemment la difficulté : créer une musique à la fois évidente et riche de prolongements (« Le mythe théâtral du Petit Prince a une dimension quasi mozartienne », remarque Levinas), pour illustrer un spectacle fidèle au trait et à l’univers pictural de l’auteur (seule exigence des ayants droit de l’écrivain). En ce sens, le pari est tenu : en mêlant les styles et les époques du gré des rencontres terrestres du Petit Prince venu d’ailleurs, en projetant – clavier numérique aidant - l’orchestre classique dans l’espace contemporain, Levinas donne-là son Enfant et les Sortilèges personnel, à peine moins déstabilisant que celui de Ravel et Colette (« Tu auras de la peine. J’aurai l’air d’être mort et ce ne sera pas vrai… »). Dans la salle, le jeune public réagit aux inventions musicales (l’Ivrogne et ses glouglous) et aux images simples de la metteur en scène Lilo Baur. Dommage seulement qu’à vouloir faire court (1 h 20) et éviter d’être lourd, Levinas assèche quelques thèmes et se prive de quelques prolongements (… « Mais le Petit Prince ne répondit pas », chapitre VI). Exécution optimale (Arie van Beek et l’Orchestre de Picardie), distribution choisie, même si la soprano Jeanne Crousaud est trop adulte pour faire croire au « Petit bonhomme » demandant à l’auteur-aviateur de lui dessiner un mouton.
François Lafon
Châtelet, Paris, du 9 au 12 février. Opéra Royal de Wallonie, Liège, du 17 au 21 octobre Photo © Théâtre du Châtelet
Ouverture à l’Auditorium de Radio France du 25ème festival de musiques contemporaines Présences, sur le thème « Les deux Amériques ». Cinq compositeurs, deux créations mondiales, avec en unique tête d’affiche Gautier Capuçon pour créer le Concerto pour violoncelle écrit sur mesure par l’Argento-français Esteban Benzecry. A côté de cette œuvre complexe et évocatrice, où les échos très anciens de l’Amérique précolombienne croisent notre époque et ses peurs immémoriales, le Concerto pour hautbois et orchestre du Franco-suisse Richard Dubugnon, latino-américain de ton si ce n’est d’origine, paraît en retrait en dépit de la performance du hautboïste Olivier Doise, son dédicataire sorti des rangs de l’Orchestre Philharmonique qui officie ce soir. Autour de ces deux nouveautés, un portique en trois volets fortement contrastés pour illustrer les divers états du thème et introduire les treize concerts du festival : quel autre rapport entre Conlon Nancarrow, disciple de John Cage et Elliott Carter, Darwin Aquino, jeune chef et compositeur dominicain aimant empiler les tempos les plus variés, et Evencio Castellanos, figure historique de l’acclimatation du folklore sud-américain aux formes classiques ? Direction précise et animée du jeune Manuel Lopez Gomez issu du Sistema vénézuélien, public motivé mais cette fois encore pas assez nombreux.
François Lafon
Présences 2015, du 6 au 21 février Photo : Manuel Lopez Gomez © DR
Débuts de l’Ensemble Intercontemporain, pensionnaire de longue date de la Philharmonie 2 (ex-Cité de la Musique) dans la grande salle de la Philharmonie de Paris. Programme XXL, en collaboration avec les jeunes instrumentistes de l’Orchestre du Conservatoire : Pli selon pli (portrait de Mallarmé) de Pierre Boulez et Amériques d’Edgar Varèse. Un double test - du murmure à la déflagration -, pour apprécier l’acoustique du lieu, si l’on ne savait que les réglages définitifs sont encore à faire. Tel quel, entendu du premier balcon jardin (juste au-dessus de l’orchestre), le son est clair, mais aléatoire, et différent d’une place à l’autre. L’extraordinaire jeu de timbres de Pli selon pli se déploie, somptueux et soyeux, mais la voix trop lointaine de la soprano Marisol Montalvo (vue et entendu de dos) a du mal à évoquer l’au-delà du poème (« Si vous voulez comprendre le texte, alors lisez-le ») recherché par Boulez. Avec Amériques, géniale Symphonie du Nouveau Monde de l’ère industrielle, l’alliage Conservatoire-Intercontemporain continue de jeter des étincelles, même si le chef Matthias Pintscher, précis et véhément mais respirant moins naturellement cette musique saturée de rythmes et de couleurs que celle, à la fois dense et raréfiée, de Boulez, ne parvient pas jusqu’à la dimension panique (un Sacre du Printemps explosé) trouvée par Esa-Pekka Salonen en 2011 au Châtelet (festival Présences). Salle pleine, public plutôt jeune : curiosité pour la nouvelle salle ou, déjà, succès du pari Philharmonie ?
François Lafon
Philharmonie de Paris, grande salle, 3 février Photo Marisol Montalvo © DR