A l’Opéra du Rhin - Strasbourg, première française (une spécialité maison) de Das Liebesverbot (La Défense d’aimer - 1836), deuxième essai lyrique du jeune Wagner, d’après Mesure pour mesure de Shakespeare. Une œuvre déroutante, dont on se demande s’il s’agit d’un pastiche de Rossini, Bellini et Donizetti par le futur compositeur de Parsifal, où d’un à la manière de Wagner signé Rossini, Bellini, etc. Déjà du Wagner pourtant, dans la gestion du (long) temps, dans certaines fulgurances mélodiques et orchestrales, dans le traitement de la voix, même lorsque – péché de jeunesse – la soprano principale doit passer sans solution de continuité des grandesorgues pré-Vaisseau fantôme aux cocottes de Lucia di Lammermoor. Hiatus aussi, si l’on considère la pièce rarement joué, classé parmi les « œuvres à problèmes » de Shakespeare, ni drame ni comédie, réflexion ambiguë sur le pouvoir et l’interdit dans une Vienne rêvée régie par un Duc philosophe, devenue sous la plume de Wagner manifeste libertaire pour le droit au(x) plaisir(s) – d’où le changement de titre – dans une Sicile jouisseuse soumise à un Teuton puritain. En guise de courts-circuits signifiants, la metteur(e) en scène Mariame Clément applique les standards du regietheater, en grossissant le trait : décor unique (un café… viennois, lieu de licence et de répression), allusions à l’actualité (foulard pour les femmes quand vient … la défense d’aimer), libération finale (assez réussie, cela dit) convoquant la ferblanterie des futurs dieux wagnériens. Chœurs très au point, plateau aussi satisfaisant que possible compte-tenu des prouesses vocales requises, direction énergique mais neutre de Constantin Trinks, là où il aurait fallu un Fregoli de la baguette, capable de réunir les contraires.
François Lafon
Opéra National du Rhin : Strasbourg (Opéra) jusqu’au 22 mai, Mulhouse (La Filature) 3 et 5 juin.