Lundi 2 décembre 2024
Concerts & dépendances
samedi 26 janvier 2019 à 02h10
Suite du cycle Berlioz à l’Opéra Bastille et production de luxe pour les cent-cinquante ans de la mort du compositeur : Les Troyens, dirigé par Philippe Jordan et mis en scène par Dmitri Tcherniakov. Ovation générale quand le rideau tombe (comme un voile jeté, alla Patrice Chéreau) sur La Prise de Troie (actes 1 et 2). Pas besoin de montrer le Cheval : la ville bombardée (référence à Beyrouth photographié par Raymond Depardon), les puissants aveuglés trônant dans un palais coupé du monde, la mort par le feu, l’exil forcé nous parlent en direct, le tout commenté - société du spectacle oblige - par des bandeaux déroulants façon chaînes d’info. On a conscience d’assister à la recréation de l’ouvrage, selon notre époque et pour elle (et là aussi l’on pense à Chéreau). La musique elle-même en est transfigurée, shakespearienne comme jamais en dépit de la tendance de Jordan à en lisser les contrastes. Huées nourries en revanche quand, deux heures plus tard, se termine Les Troyens à Carthage (actes 3-5), une partie du public n’ayant pas supporté de se retrouver dans un centre de soins en psycho-traumatologie militaire dont la directrice Didon - proclamée Reine (couronne de carton et traîne en papier-crépon) par les pensionnaires - va accueillir un groupe de migrants dont le chef lui déclare son amour par-dessus une table en Formica. Pas facile en effet de passer de la vérité crue au jeu volontiers pervers du regietheater, où l’on se demande comment le metteur en scène va faire entrer l’œuvre dans la fable parallèle par lui imaginée. Beau succès en revanche pour les chanteurs, confrontés - quel qu’en soit le cadre - à des héros tragiques plus grands que nature et formidablement coachés par le grand directeur d’acteurs qu’est Tcherniakov : Stéphanie d’Oustrac en Cassandre plus déterminée que possédée, Brandon Jovanovich triomphant de la tessiture tueuse d’Enée, Stéphane Degout en militaire refusant d’imaginer l’inimaginable, Cyrille Dubois céleste dans la mélodie de Iopas, Ekaterina Semenchuk peu flatteusement vêtue d’une liquette jaune canari, mourant en beauté après avoir fait craindre qu’elle ne confonde Didon avec Amneris dans Aida. Orchestre et chœurs superlatifs en dépit de quelques décalages, ne faisant tout de même pas oublier les coupures « dramaturgiques » (à commencer par le savoureusement décalé "duo des Sentinelles", impossible en effet dans ce contexte) privant les puristes de Troyens en version enfin intégrale à l’Opéra de Paris.

François Lafon

Opéra National de Paris – Bastille, jusqu’au 12 février. En léger différé le 31 janvier sur Arte et Arte Concerts. En différé le 10 mars sur France Musique (Photo © Vincent Pontet / OnP)

Au Palais Garnier : Il Primo Omicidio, oratorio à six voix d’Alessandro Scarlatti (1707). En scène, Adam, Eve et leurs enfants Abel et Caïn - celui-ci commettant le premier homicide en tuant celui-là - Dieu et le Diable, pas de chœur. Aux commandes : Romeo Castellucci (mise en scène, scénographie, costumes, éclairages) et René Jacobs (direction), le premier annonçant une réflexion sur « le mystère de la présence du Mal chez Dieu », le second décrivant la musique comme « volontairement pas dramatique ». Un spectacle rien moins qu’austère pourtant, justifiant pour une fois la théâtralisation d’une œuvre conçue pour le concert. En 1998, Jacobs avait ressuscité au disque (comme chef et soliste : il était la voix … de Dieu) cet opus oublié dans la riche production de Scarlatti (trente oratorios, une centaine d’opéras, entre autres). En Castellucci, maître de l’immatériel scénique, il a trouvé le partenaire rêvé pour faire avec cet ouvrage ses débuts (à soixante-douze ans !) dans la fosse de l’Opéra de Paris. Première partie littérale mais très référentielle, dans le style castellucien : fonds mouvants, symbolique des couleurs, gestique descriptive renvoyant à la rhétorique baroque en peinture, agneau sacrifié par Abel symbolisé par une grande poche de sang, le tout sous une immense Annonciation de Simone Martini tête en bas, comme une guillotine menaçant les chanteurs : « Ave-Eva, Marie croit en l’Ange, Eve au Serpent ». Il faudra cependant attendre le meurtre primordial pour que frappe l’Idée sans laquelle Castellucci ne serait pas Castellucci : les protagonistes disparaissent dans la fosse, remplacés sur scène par des enfants à leur image. « On se retrouve brutalement confrontés à l’innocence », explique le maître. Ambiguïté non moins castelluccienne pour finir, lorsque lesdits enfants couvrent la terre d’une grande bâche de plastique, tandis que la voix divine annonce la Bonne Nouvelle : « Il pourrait s’agir d’enfants qui jouent à re-faire la création, comme un jeu de rôle ». Tout cela porté, transcendé par une musique inspirée, dont Jacobs, selon son habitude, a enrichi l’orchestration « sans céder à la vanité » pour le grand espace du Palais Garnier, dirigeant son bien-aimé B’Rock Orchestra (créé en 2005 à Gand) et des solistes impeccables (« Je dois inviter mes chanteurs à trouver une forme de chasteté ») avec le mélange de somptuosité et de recueillement qui le caractérise. 
François Lafon 

Opéra National de Paris, Palais Garnier, jusqu'au 23 février. En différé sur France Musique le 17 mars (Photo © Bernd Uhlig / OnP)

Ouverture de la 4ème saison des « nouveaux » Lundis de l’Athénée, résurgence de la série - devenue culte - créée par Pierre Bergé en 1977. Récital dans l’air du temps (le nôtre) de Julie Fuchs (soprano) avec Alphonse Cemin (pianiste et directeur artistique de ce revival), soirée de mélodies conçue comme un tour de chant, échappant au style « lèvres pincées » naguère épinglé par l’humoriste anglaise Anna Russell. Commentant le programme, annonçant les oeuvres (musiciens et poètes) un peu à la façon Juliette Gréco, Julie Fuchs enchaîne Barbara (Une petite Cantate) et Debussy/Verlaine (Ariettes oubliées), Björk (The sun in my mouth, poème de E.E. Cumings) et George Crumb, dont elle chante le superbe cycle Apparition (poèmes de Walt Whitman) avec un sérieux dans l’étrangeté qui rappelle Cathy Berberian  à l’époque Bergé des Lundis, formidablement secondée par Cemin maîtrisant en virtuose le piano amplifié. Timbre lumineux, jonglant avec les styles et les époques, elle marie aussi Francis Poulenc-Louise de Vilmorin (formidable Aux Officiers de la garde blanche, indirectement adressé à André Malraux) et Cole Porter, affirmant l’éclectisme dont elle s’est toujours réclamée, alors que Deutsche Grammophon annonce son album de bel canto "Mademoiselle". Cinq Lundis encore jusqu’en juin, avec entre autres les barytons Stéphane Degout et Thomas Oliemans, respectivement accompagnés par Alain Planès et Malcolm Martineau.   
François Lafon

Théâtre de l’Athénée, 21 janvier. Diffusion ultérieure sur France Musique (Photo © Sarah Bouasse)

Revelge (Réveil), un des derniers lieder de Mahler sur un poème tiré du recueil « Des Knaben Wunderhorn » (Le cor merveilleux de l’enfant), est un défilé de fantômes après la bataille, une procession de squelettes, une marche implacable que la mort elle-même n’a pu interrompre. On est en 1899, et Mahler trouve ici des accents qui glacent et qui, dans leur diversité, auront chacun leur contrepartie dans l’œuvre symphonique : le côté fantastique  de Revelge dans la Septième, son côté réaliste dans la Sixième (1904). De l’ensemble sortira Wozzeck d’Alban Berg. Malgré ses points de rencontre avec (et ses citations de) Revelge, la Sixième Symphonie est celle de Mahler où le recul de l‘élément lied est le plus net. Dense, énergique, solidement structurée, elle est témoin de luttes furieuses. A la tête de son Orchestre philharmonique  de Radio France, Mikko Franck a fait ressortir sa violence, par une lecture âpre, linéaire, aux sonorités pointues. Mais de ces luttes, l’issue jusqu’au dernier moment ou presque reste indécise. Le finale de la Sixième (une demi-heure à lui seul) est - surtout en son centre - une alternance kaléidoscopique de situations négatives et positives. D’où l’importance, en l’occurrence bien mise en évidence, du dernier épisode, qui entérine la défaite.  La Sixième est la seule symphonie de Mahler qui se termine  « mal », par un chant funèbre des trombones puis par un simple pizzicato qu’on a comparé à une dernière pelletée de terre sur une tombe encore fraîche. Reste que le héros est mort debout.
Marc Vignal
 
Auditorium de Radio France, 18 janvier (Photo © Christophe Abramowitz)

samedi 19 janvier 2019 à 00h43
4ème saison, salle Cortot (Ecole Normale de Musique), du Centre de Musique de chambre de Paris : Beethoven Labyrinthus. Même principe que l’ébouriffant Parlez pas de Mahler ! l’année dernière (voir ici) : un concert-spectacle d’une heure, pédagogique mais pas scolaire, utilisant les outils de notre temps – numérique compris – pour nous faire entrer dans la tête d’un compositeur. Fil conducteur : un film en 3D façon séries décalées d’Arte et une bande son clinique faisant entendre l’évolution de la surdité du musicien, jusqu’à une 9ème Symphonie réduite à un cauchemardesque bourdonnement. Ponctuations musicales : du classique Trio opus 1 n° 3 pour violon, violoncelle et piano à la géniale "Grande Fugue" op. 133 pour quatuor à cordes, « labyrinthe initiatique aussi difficile à jouer qu’à comprendre » selon Jérôme Pernoo, initiateur et metteur en scène du projet, lequel ajoute, parlant pour Beethoven via la voix off du film : « Ma vie, en quelque sorte ». Signature maison : les instrumentistes jouent par cœur et investissent le plateau entier, chorégraphiant la musique avec une bluffante pertinence. Tous seraient à citer … même les sédentaires, tels le pianiste Kojiro Okada (superbe 1er mouvement de la Sonate « Appassionata ») ou le violoncelliste Jean-Baptiste Maizières, autour duquel s’organise l’éclairant ballet de la "Grande Fugue". Autre principe maison : un mini-concert en début de soirée, cette fois un bouquet de Lieder de Richard Strauss par deux lauréats de l’Académie Philippe Jaroussky (voir ) : la soprano kazakhe Anara Khassenova – voix scintillante alla Lucia Popp – pertinemment accompagnée par le pianiste français Vincent Mussat. Autres alléchants programmes de la saison : Bach and breakfast (chantez Bach avec les musiciens), Bœuf de chambre et Souvenir de Tchaïkovski
François Lafon 

Ecole Normale de Musique, Salle Cortot, jusqu’au 26 janvier (Photo : Kojiro Okada © DR)

samedi 12 janvier 2019 à 00h56
Ouverture du premier (sur deux) Week-end Berlioz à la Philharmonie de Paris, avec François-Xavier Roth et Les Siècles (instruments français de 1830). Programme festif, confrontant l’ouverture de l’opéra Benvenuto Cellini et celle du Carnaval romain - géniale extrapolation dudit opéra -, toutes deux encadrant celle de l’opéra-comique Béatrice et BénédictUn caprice écrit avec la pointe d’une aiguille »), le tout suivi de « Roméo seul » et de la « Grande Fête chez Capulet », extraits de la symphonie dramatique Roméo et Juliette. Musiciens survoltés, talent du chef à rendre sensible à nos oreilles modernes le mélange de classicisme et d’étrangeté de ces pièces servant trop souvent de chauffe-orchestre en début de concert. Ex-assistant de Colin Davis et de John Eliot Gardiner - écoles complémentaires d’authenticité berliozienne -, Roth pourrait ajouter le patriarche Charles Munch à ses inspirateurs quand - comme dans la « Fête chez Capulet » - il fait passer l’expression avant la précision. Une expression qui fait merveille en seconde partie dans Harold en Italie, voyage byronien au pays de l’orchestre de l’« alto principal », ce soir celui de Tabea Zimmermann parcourant du murmure aux grands épanchements le spectre des émotions. En bis, la "Marche hongroise" de La Damnation de Faust, désignée par Roth comme le tube berliozien de You Tube (la version De Funès dans La grande Vadrouille ?) Vœu pieux du chef : « Que cet anniversaire marque l’entrée de Berlioz au Panthéon ». Qu’il marque aussi, ajoutera-t-on, la résolution des problèmes financiers qui mettent en péril l’avenir des Siècles. 
François Lafon 

Philharmonie de Paris, Grande Salle Pierre Boulez, 11 janvier. Concert disponible pendant six mois sur live.philharmoniedeparis.fr (Photo : Tabea Zimmermann © Marco Borgreve)

dimanche 6 janvier 2019 à 02h04
Aux Bouffes du Nord, Songs, nouvel opus du collectif La Vie brève, frère pas si jumeau de Demi-Véronique (même lieu - voir ici), peut-être parce que celui-ci a été mis en scène par Jeanne Candel et celui-là par Samuel Achache, tous deux rassembleurs d’idées de la compagnie. Ce sont cette fois les Consort songs anglais du XVIIème siècle qui font spectacle, portés par une trame dramatique rien moins que rationnelle, où un orchestre et des voix revivent hors du temps les états d’âme et peines d’amour mis en musique par Blow, Locke, Purcell, Bannister ou Coperario. Tout cela se passe en fait dans la tête d’une jeune mariée promise à la mort (métaphorique?) : bel effet, au début, de noyade dans sa robe blanche entraînant l’apparition de son monde intérieur, sorte de cimetière d’instruments où fondent et se transforment les tablettes de cire sur lesquelles, selon Platon, s'impriment les paroles et les sensations passées. Une fable métaphysique vécue comme un film des Marx Brothers, la logique émergeant des dialogues (un peu longs) et des mouvements (à peine moins fous que dans les autres spectacles du collectif) relevant du coq-à-l’âne généralisé. Au centre : la mère de la mariée, qui chante alors que celle-ci (et sa sœur – les surréalistes Margot Alexandre et Sarah Le Picard) parlent. Et comme il s’agit de Lucile Richardot, voix d’alto phénoménale accompagnée par Sébastien Daucé et son non moins excellent ensemble Correspondances (le CD est sorti au printemps – voir ici), l’oreille est à la fête, chaque Song trouvant son cadre et sa couleur dans un contexte où il devrait logiquement se perdre. 
François Lafon

Bouffes du Nord, Paris, jusqu’au 20 janvier. A Quimper les 21 et 22 mars, et Tarbes le 27 mars (Photo © Jean-Luis Fernandez)

 

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