A l’Auditorium de la toute neuve Fondation Louis Vuitton (Bois de Boulogne, à la lisière du Jardin d’acclimatation), premier récital de la saison « Piano nouvelle génération » : Rémi Geniet. Un prodige de vingt-et-un ans formé par Brigitte Engerer, laquelle n’aura pas eu le temps de le voir rafler les prix (Concours Reine Elisabeth de Belgique, etc.), et élève à Hambourg du très renommé Evgeni Koroliov. Programme ambitieux - de Bach à Ligeti, suivi des Kreisleriana de Schumann - pour un lieu impressionnant, mais pas facile à apprivoiser, à la proue du vaisseau amiral de verre et d’acier voulu par Bernard Arnault. Son clair et présent du piano (acoustique signée Nagata, comme à Radio France et à la Philharmonie de Paris) mais assez froid et comme décoloré : particularité de l’artiste ou influence physico-psychologique des immenses baies vitrées donnant sur une monumentale (et très belle) cascade en escalier ? Aucune scorie dans le jeu de Rémi Geniet, que ce soit dans le vertigineux Escalier du diable (Etudes, Livre II) de Ligeti ou dans le dépouillement de la 1ère Suite anglaise de Bach, mais une maîtrise qui, dans les cyclothymiques Kreisleriana comme dans les transcriptions de Rachmaninov d’après… Kreisler, bride encore sa personnalité. Public sage comme une image : l’esprit du lieu, là aussi ?
François Lafon
Fondation Louis Vuitton, Paris, 19 décembre Photo © DR
Au théâtre de l’Athénée, Et le Coq chanta…, d’après les Passions de Bach (Matthieu, Jean, et les fantômes de celles de Marc et Luc). Une mise en scène, ou plutôt une allégorie (signée Alexandra Lacroix et François Rougier) pour tenter d’incarner ces monuments de dramatisme qui échappent à tout théâtre. Un repas de famille qui dégénère, douze convives plus un (le Père), parmi lesquels cinq chanteurs, deux comédiens et six instrumentistes. Fil conducteur : la trahison, et pas seulement celle de Judas. D’une Passion à l’autre, d’une version (il y en a plusieurs) de chacune de ces Passions à l’autre, l’éclairage change, le sens se précise et échappe à la fois. Un formidable travail collectif, une façon impressionnante de mettre en avant les corps (mangeant, buvant, souffrant, se baignant, dormant) pour mieux saisir les mots et la musique. Adaptation inventive des airs, chorals et récitatifs à cet effectif de chambre à géométrie variable, dirigé avec sûreté par Christophe Grapperon, plus connu pour son travail dans le répertoire léger avec la compagnie Les Brigands. Une prémonition de Pâques en période de Noël : pas étonnant de la part d’un spectacle qui n’a de cesse de mettre à mal les idées reçues.
François Lafon
Théâtre de l’Athénée, Paris, jusqu’au 17 décembre Photo © DR
Il est des metteurs en scènes qui, angoissés par le vide, l’accusent ou au contraire cherchent à tout prix à le combler par des mouvements de foule, la mise sur le ventre de chanteurs et autres performances plus ou moins inspirées. Pour La Clémence de Titus, Denis Podalydès tourne le dos à ces modes, conçoit une mise en scène classique au sens le plus noble du terme, lisible, élégante, un écrin idéal pour cet opéra sérieux et éminemment politique, sous-estimé pour avoir été prétendument bâclé entre deux chefs d’œuvres (La Flûte et le Requiem). Sa direction d’acteurs met en valeur l’épaisseur dramatique des protagonistes ici servis par des interprètes exemplaires par la technique, la clarté de la diction et le sens dramatique. Tous... à l’exception d’un Titus qui ne craint rien, pas même la posture du ténor trompétant et fébrile, au service d’un empereur pourtant clément par contrition et non par générosité, homme plein de doutes, mû par les appeaux du pouvoir et la libido (il n’est pas précisé si toute ressemblance avec un ou des régnants actuels est fortuite). Qu’importe, cette Clémence et ses sommets resteront dans les mémoires. Kate Lindsay (Sextus) et Karina Gauvin (Vitella), en particulier, ont suspendu le souffle d’un auditoire toussotant, la première dans le Parto, parto de l’acte I (en dialogue avec la clarinette) et seconde dans le Non piu di fiori de l’acte II (en dialogue avec le cor de basset). Les trois autres interprètes principaux (Julie Fuchs, Julie Bouliane et Robert Gleadow), Jérémie Rohrer, le Cercle de l’Harmonie et l’ensemble vocal Aedes ont été justement salués (contrairement à Denis Podalydès qui a été hué à cette première, ce qui peut être pris pour un compliment) pour la beauté, la tension et la cohérence de cette Clémence.
Albéric Lagier
Théâtre des Champs-Élysées,10, 12, 14 16, 18 décembre 2014. Sur France Musique le 27 décembre Photo © DR
Au Châtelet, première officielle d’Un Américain à Paris, après trois semaines de previews (représentations de rodage) dans la tradition de Broadway. Deuxième volet du triptyque « de l’écran à la scène » (et non le contraire), entre Les Parapluies de Cherbourg (septembre 2014) et Chantons sous la pluie (mars 2015). Coût de la production : 13 millions d’euros. But de l’opération : retrouver le parfum de l’original sans chercher à le copier. Un pari risqué dans le cas de cet Américain, exercice de style à grand spectacle signé Vincente Minelli, reposant sur une intrigue d’opérette et recyclant quelques tubes de Gershwin pour peindre un Paris de carton-pâte où Gene Kelly et Leslie Caron dansent leur idylle entre toiles de maître et autochtones en béret basque. Bons sentiments, clichés sur la France (celle, quand même, de la fin des années 1940, à peine sortie de la guerre), décoration fluide et ballets convenus : un spectacle de Noël, élégant et sans aspérités, à mille lieux des musicals roublards et torturés de Stephen Sondheim (Sweeney Todd, Into the Woods – voir ici et là) dont le Châtelet s’est fait une spécialité. Professionnalisme à l’anglo-saxonne, troupe tous terrains de chanteurs-danseurs-acteurs de laquelle se détache la jeune première Leanne Cope. Triomphe, sold out jusqu’aux fêtes. En mars, le spectacle est repris à New York, où il a été répété. Pour le Châtelet, une consécration. Pour le Palace Theatre (Broadway), une série inespérée de previews.
François Lafon
Châtelet, Paris, jusqu’au 4 janvier. Palace Theater, New York, à partir du 13mars. En direct sur France Musique le 20 décembre à 20h Photo © Théâtre du Châtelet
Série « Turbulences » à la Cité de la Musique : l’Ensemble Intercontemporain invite le DJ et compositeur Marko Nikodijevic. Deux concerts sur le thème du clair-obscur, de Gesualdo l’assassin musicien à Claude Vivier le musicien assassiné pour le premier, de Mozart à … Nikodejevic pour le second. Un pot-pourri postmoderne que cette dernière soirée (quatre heures d’horloge), en trois parties séparées par des entractes où l’artiste aux platines mixe et improvise en compagnie de quelques membres de l’Intercontemporain. Fil conducteur : de la lumière aux ténèbres, du grand jour de Mozart et Stravinsky à l’intrusion du jour dans la nuit et vice-versa selon Thomas Adès, Helmut Lachenmann mais aussi Schubert (Adagio de l’Octuor), pour finir, après les collages détonants de Fausto Romitelli et les réminiscences purcelliennes de George Benjamin, à la création de K-hole/Schwarzer horizon.Drone (with song), une sorte de trou noir musical (avec technique IRCAM) dans lequel Nikodejevic évoque l’antichambre de la mort (le K-hole) où mène l’absorption de kétamine, un anesthésique utilisé comme stupéfiant. Assez hypnotique d’ailleurs ce marathon où les œuvres, judicieusement choisies et appariées, se succèdent sans solution de continuité dans un espace d’ombre et de lumière, et où les virtuoses de l’Intercontemporain jonglent comme jamais avec les styles et techniques. Un spectacle aussi que Nikodejevic à la console, fine silhouette aux gestes précis, roi des dancefloors internationaux et disciple de Marco Stroppa, que Matthias Pintcher, directeur de l’Intercontemporain et compositeur lui-même, décrit comme « un anarchiste merveilleusement poétique ».
François Lafon
Cité de la Musique, Paris, les 5 et 6 décembre
Premier concert à la Cité de la Musique des Lauréats HSBC de l’Académie du festival d’Aix-en-Provence : Andreea Soare et Sabine Devieilhe, accompagnées par François-Xavier Roth à la tête des Siècles. Cinq airs de concert de Mozart parmi les plus virtuoses pour la première, parmi les plus nobles pour la seconde. Cadre approprié (700 places) pour la voix légère mais égale et expressive de celle-ci, triomphe après le double contre-sol (plus haut que la Reine de la Nuit) de l’air Popoli di Tessaglia. Beau succès aussi pour Andreea Soare, timbre doré et style impeccable, pur produit de l’Atelier d’Art Lyrique de l’Opéra. Final en beauté avec le duetto Suzanne-Comtesse du 3ème acte des Noces de Figaro. Première partie incongrue dans ce contexte : la 7ème Symphonie de Beethoven, lecture philologique, tempos d’enfer mais respirant large, factuellement perfectible : si CD il y a, attendons-le, Roth et ses musiciens y tirent en général les leçons de leurs essais en concert. Prochains manifestations Aix-HSBC-Cité (qui s’appellera à l’époque Philharmonie 2) : le Quatuor Bela le 31 mars et, le 4 avril, Trauernacht, le spectacle Bach vedette du festival 2014, mis en scène par Katie Mitchell et dirigé par Raphaël Pichon.
François Lafon
Cité de la Musique, Paris, 2 décembre. 29 décembre à 14h sur France Musique Photo : Andreea Soare © DR