Lundi 2 décembre 2024
Concerts & dépendances
jeudi 29 novembre 2018 à 17h52
L’affaire est entendue : Yossif Ivanov est un violoniste virtuose, ses pairs l’ont d’ailleurs reconnu en lui décernant en 2005 le deuxième prix du Concours Reine Elisabeth. Mais dans le Concerto pour violon de Beethoven, si la virtuosité est nécessaire, elle ne suffit pas : le ton, l’ambiance, le grain sont essentiels. Fort du côté rebelle, qu’il exprime dans le groupe Trilogy fondé avec deux autres violonistes pour « rafraîchir les grandes œuvres du répertoire classique et populaire, » il a choisi ce soir-là d’aborder Beethoven de manière musclée, âpre même parfois dans certains aigus. L’Orchestre de Picardie, à qui Arie van Beek insuffle son enthousiasme, n’en est pas troublé pour autant et dialogue avec lui de belle manière, mais l’auditeur habitué à des versions généralement plus melliflues est plutôt surpris. C’est alors que, dans le deuxième mouvement, Yossif Ivanov montre qu’il sait aussi être doux, tendre, attentionné avec un toucher délicat qui lui permet, par exemple, d’entamer une magnifique, quoique courte, conversation avec le basson. Puis le troisième mouvement s’enchaîne avec la même ardeur qu’au début, et l’auditeur, dont l’oreille a fini par s’habituer, est emporté par le violoniste dans son tourbillon.
La Sixième symphonie de Schubert qui suit, appelée « Petite symphonie » par rapport à la neuvième, la Grande, elle aussi en ut majeur, est un étonnant patchwork de danses populaires, de cavalcades spectaculaires, de passages alla Beethoven et de fragments presque schubertiens. A défaut d’être toujours convaincante, même si l’orchestre de Picardie la défend bien, elle a le mérite d’exister, et d’avoir été donnée ce soir-là.
Gérard Pangon
 
Saint Louis des Invalides 27 novembre 2018. Diffusion sur Radio Classique le 17 décembre (Photo © DR)

A La Scala, boulevard de Strasbourg, jadis music-hall, naguère cinéma, depuis la rentrée scène polyvalente prenant le pari risqué de l’éclectisme (théâtre, musique, expositions, gastronomie au 1er étage), le tout sans subvention : carte blanche à Yasmina Reza. Un symbole à elle seule que cette intellectuelle du théâtre privé (en France, ailleurs elle est jouée sur les scènes nationales). Ponctuant le cycle de pièces et textes choisis : Hammerklavier, neuf lectures avec piano du recueil d’instantanés qui fut sa percée en librairie (1997) après le  succès de sa pièce « Art ». Un défilé de stars (Nicole Garcia, Carole Bouquet, Nathalie Baye, Emmanuelle Devos) ouvert le 7 novembre par l’auteur elle-même avec le pianiste Geoffroy Couteau. Chacune choisit ses propres extraits tandis que le pianiste joue l’Adagio de la Sonate Hammerklavier de Beethoven et des mouvements de l’une des Sonates en la majeur de Schubert (D. 664 - D. 959). Reza commence par le début : « … Mais enfin, s’écrie Beethoven, être mort n’est pas être sage ! ». Peut-être parce qu’elle parle à la première personne, elle lit sans interpréter et semble s’abstraire pendant la musique. Curieuse impression pour elle, peut-être, que de retrouver vingt ans après ces textes qui parlent du temps qui passe et qu’on ne retrouve pas. Mercredi 21, Bulle Ogier lit et Nathanaël Goin joue. Même choix au début, suivi en particulier du chapitre « instants d’optimisme irraisonné » (pendant un concert Schubert par le pianiste Richard Goode). Cette fois, l’osmose se fait entre l’actrice et le pianiste, là ou Geoffroy Couteau avait du mal à trouver ses marques face à Reza seule avec elle-même. Troublante résonance entre la Hammerklavier par un si jeune artiste et la voix à la fois précise et hésitante, là et pas là,  qui a contribué au succès de la comédienne. Schubert y trouve aussi son sens, comme une libération après la question lancinante : « Dans quel temps nous plaçons-nous ? ». Le bleu-gris Peduzzi des murs (c’est le scénographe de Patrice Chéreau qui a signé la chic et sobre décoration) en prend une étonnante profondeur.
François Lafon

Hammerklavier, La Scala, Paris, jusqu’au 23 novembre (Photo © DR)

dimanche 18 novembre 2018 à 19h40
A l’Opéra Bastille, Simon Boccanegra de Verdi. Pour solde de tout compte, après deux productions oubliables et quarante ans après celle, historique, signée Giorgio Strehler et Claudio Abbado : au sublime navire voile au vent, figure de proue de l’esthétisme strehlerien, le metteur en scène Calixto Bieito, connu pour ses tendances gore, oppose un cuirassé dépecé, vision noire de l’âme du doge désenchanté. Pourquoi pas ? Cet opéra longtemps mal aimé, tombé à sa création en 1857, revu et augmenté par Verdi avec l’aide d’Arrigo Boito comme un galop d’essai à leur Otello, supporte mieux le second degré que Rigoletto ou Le Trouvère. C’est pourtant d’une pièce de l’Espagnol Guttiérrez, auteur dudit Trouvère et champion du mélo à l’intrigue inextricable, qu’est issu ce Boccanegra mêlant grande politique et imbroglio familial, histoire d’un corsaire devenu doge de Gênes tué par le Iago (déjà) qui l’a mis sur le trône, métaphore de l’utopie de l’unité italienne mise à mal par la realpolitik et la faiblesse des hommes. Strehler parlait de la dimension brechtienne de l’œuvre, tout en évoquant le jeu du travestissement (noms, apparences) qui pourrait faire l’objet d’une mise en scène pirandellienne. Bieito s’attache à « faire sauter le vernis des apparences pour interroger l’essence des individus », pointant la propension commune des Italiens et des Espagnols à « vivre les émotions intensément, voire déraisonnablement ». Gros plans sur écran géant des femmes et fantômes de femmes hantant l’histoire, personnages en vêtements de tous les jours, comme poussés à l’avant-scène par le vaisseau tournoyant et strié de barres de néon : privée de romantisme, une partie du public hue quand, pendant l’entracte, est projeté sur le rideau le corps de la mère de l’héroïne assaillie par les rats. Réconciliation générale en fermant les yeux : autour de Ludovic Tézier trouvant-là un des rôles de sa vie, Mika Kares (le patriarche Fiesco), Nicola Alaimo (le méchant Paolo) et Michaïl Timoshenko (le politique Pietro) forment un trio de clés de fa sans faiblesse, timbres sombres éclairés par celui, à la fois pulpeux et aérien, de Maria Agresta. Plaisir aussi dans la fosse, où en vrai chef verdien, Fabio Luisi jongle avec les silences et les éclats de ce Verdi somptueux et austère, culminant dans une scène du Conseil (bravo les chœurs !) rappelant les grands anciens Abbado (en CD chez DG) et Dimitri Mitropoulos (Archipel Walhall).
François Lafon

Opéra National de Paris – Bastille, jusqu’au 13 décembre. En direct sur Culturebox et au cinéma le 13 décembre. En différé le 30 décembre sur France Musique. Retransmis ultérieurement sur France 2 (Photo © Agathe Poupeney/OnP)

A l’Opéra Comique : Donnerstag aus Licht (Jeudi de Lumière) opéra en trois actes pour quatorze solistes, chœur, orchestre et bandes de Karlheinz Stockhausen, première journée d’une heptalogie (1977-2003) jamais encore jouée en entier, auprès de laquelle la Tétralogie wagnérienne ferait presque figure de lever de rideau. Pour le thème, une Flûte enchantée plutôt, mais à la mesure du démiurge Stockhausen, se mettant en scène sous les traits d’une trinité (ténor, danseur, trompettiste) figurant Michael, archange incarné triomphant de Lucifer au terme de l’aventure de toute une vie, des traumatismes de l’enfance au dépassement de soi final débouchant sur l’acte créateur. “Comment c’est en haut ? », demandait ironiquement le metteur en scène Luca Ronconi lors de la création à La Scala de Milan en 1981. « Il y a beaucoup de lumière, lui répondait sans rire Stockhausen, fais-moi une résidence céleste, des personnages qui ne soient que lumière, et qui n’aient aucune ressemblance avec des hommes ». Benjamin Lazar, qui reprend aujourd’hui le flambeau, cite aussi le compositeur : « Il faut que cela se présente à l’auditeur comme une chose inouïe, inexplicable comme la vie ». Avec le chef Maxime Pascal et son décidément bluffant ensemble Le Balcon, il adopte le principe stockhausenien que « celui qui absorbe la musique devient la musique » et suit, plus concrètement, les mouvements très précis exigés des interprètes, indiqués par le compositeur au-dessus des notes. Cela donne un spectacle à la fois mystérieux et lisible, intime et cosmique, mêlant corps et sons avec une extraordinaire virtuosité, prodige auquel Ronconi lui-même n’était (selon l'auteur) pas parvenu. Le deuxième acte, - à l’audition un superbe concerto pour trompette - devient un titanesque combat avec le Diable (lui aussi trinitaire et armé d’un trombone) se terminant en scène d’amour tristanesque avec Eva (cor de basset). Formidable plateau – chanteurs, choristes, danseurs, instrumentistes – mené par le ténor Damien Bigourdan (Michael-voix), relayé au troisième acte par Safir Behloul, véritable officiant dans la « Vision » finale, et le trompettiste Henri Deléger (Michael-instrument), digne successeur du créateur Markus Stockhausen (fils de…) « Nous en sommes encore au premier opéra du cycle, mais Licht a déjà opéré une métamorphose en nous », remarque Maxime Pascal. Manière d'annoncer une suite : Samstag aus Licht est programmé à la Cité de la musique en juin prochain. 
François Lafon

Opéra Comique, Paris, jusqu’au 19 novembre (Photo © Stéphane Brion)
 
mardi 13 novembre 2018 à 22h48
Aux Bouffes du Nord, Demi-Véronique, création collective de La Vie brève (rien à voir avec De Falla), révélé in loco par les très inventifs et faussement foutraques Crocodile trompeur (Didon et Enée) (2013 - voir ici) et Orfeo, je suis mort en Arcadie (2017 - voir ). Mahler après Purcell et Monteverdi, plus précisément la 5ème Symphonie, œuvre non vocale entraînant un spectacle sans paroles pour trois acteurs et beaucoup d’accessoires, si ce n’est la logorrhée godardienne (il imite d’ailleurs le cinéaste) d’un bonimenteur apostrophant le public en guise de prélude, façon classique d’abolir la frontière entre salle et plateau. De musique il y aura beaucoup plus, de larges pans du chef-d’œuvre (dirigé par Claudio Abbado, signe d’un sûr goût musical) sortant d’un vieux magnétophone et envahissant l’espace, rythmant les folles actions et les tragiques suspensions se succédant, se chevauchant même à un rythme soutenu. « Alors voilà : nous avons mis toute cette musique en nous, dans les recoins les plus profonds de nos corps et de nos cœurs et nous avons composé une épopée musicale et théâtrale dans un intérieur calciné, une maison ravagée par le feu », explique la conceptrice et interprète Jeanne Candel. On n’en saura pas plus sur le(s) pourquoi du comment, si ce n’est qu'en tauromachie « la Demi-Véronique est le nom d’une passe durant laquelle le torero absorbe le taureau dans l’éventail de sa cape (…) Comme le soupir en musique, c’est une pause, une suspension à partir de laquelle tout peut recommencer et se transformer ». Il y a en effet un air de famille entre cette accumulation de signes et d’images en noir et blanc dont chacun pourra tirer son propre scénario et la saturation de rythmes et d’atmosphères qui font de la 5ème une des Symphonies de Mahler les plus séduisantes en détails (l’Adagietto « de » Mort à Venise) et les moins immédiatement accessibles dans leur globalité. On se dit même, quand les lumières se rallument sur le plateau transformé en champ de bataille, que ce délire tragico-burlesque apparemment hors-sujet en dit plus long sur Mahler et sa 5ème Symphonie que bien des commentaires savants. 
François Lafon

Bouffes du Nord, Paris, jusqu’au 17 novembre. Scène Nationale de Brive/Tulle le 5 mars 2019. Théâtre de Nîmes, les 20 et 21 mars 2019
(Photo © Jean-Louis Fernandez)

Finale à l’Auditorium de Radio France du concours Long-Thibaud-Crespin, cette année consacré au violon. Une sorte de résurrection – couverture médiatique faisant foi – de cette institution créée en 1943 et depuis longtemps ronronnante, à peine boostée par l’adjonction en 2011 d’une section chant patronnée post mortem par la grande wagnérienne française. Renaud Capuçon n’y est pas pour rien, présidant un jury où siègent, entre autres, Maxim Vengerov, James Ehnes et Yan-Pascal Tortelier. Pour les trois finalistes (sur six) de ce soir, trois concertos sans pitié (Brahms, Beethoven, Mendelssohn), dirigés par le sobre Pascal Rophé à la tête de l’Orchestre des Pays de Loire, et précédés pour tous de l’Adagio du 1er Concerto de Haydn, test infaillible selon Capuçon de la sensibilité et de la musicalité d’un artiste. Assertion vérifiée, les trois concurrents représentant chacun un type d’interprète bien défini : tels Tebaldi la melliflue et Callas la flamboyante, l’Américaine Mayumi Kanagawa (24 ans) et le Russo-Canadien Daniel Kogan (25 ans) font preuve d’une perfection un peu froide pour la première, d’une inventivité faisant fi des canons classiques pour le second. Le Haydn de Kanawaga est une longue phrase céleste, celui de Kogan un débat passionné. Les tebaldiens (ou kanawagaiens) rétorqueront que le Brahms de leur favorite est nettement plus maîtrisé que le Beethoven de son rival, et ils n’auront pas tort. Le Russe Dmitry Smirnov (24 ans) va les départager : un Haydn techniquement soigné et artistement phrasé amorce le débat, suivi d’un Concerto de Mendelssohn très pensé lui aussi (fabriqué, diront ses détracteurs). Haut niveau donc, sans pourtant qu’un mouton à cinq pattes (expression favorite de Crespin) ne s’impose comme le Menuhin (longtemps président du jury) de l’avenir. Palmarès demain soir sur  http://www.long-thibaud-crespin.org. 
François Lafon

Auditorium de Radio France, 9 novembre. Dernière session samedi 10 à 19h. Finales récital et concerto visibles un an sur la page Facebook de France 3, la page Facebook et le site de Culturebox et francemusique.fr (Photo © DR)

 

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