Jeudi 23 mars 2023
Concerts & dépendances
A l’Opéra de Paris-Bastille : Hamlet d’Ambroise Thomas d’après Shakespeare ou plutôt d’après l’adaptation à la scène romantique qu’en a faite Alexandre Dumas, avec happy end en lieu et place de la mort du héros. A l’Opéra-Comique il y a quatre ans (reprise la saison dernière), le metteur en scène fan de vidéo Cyril Teste avait déromantisé l’ouvrage en adoptant la technique du « jeu transparent » (voir ici). Avec Krzysztof Warlikowski cette fois, c’est toute la structure du chef-d’œuvre qui bascule. Puisque Hamlet ne meurt pas, on le découvre vieilli dans un hôpital psychiatrique aux grilles en abyme, poussant sa mère encore plus diminuée que lui dans une petite voiture à roulettes, portant sempiternellement le poids de son malheur. Même décor pour le grand flash back qui suit : « L’hôpital psychiatrique ne signifie pas que Hamlet est fou. On y enfermait aussi ceux dont on voulait se débarrasser », précise le metteur en scène, qui recycle ainsi ses obsessions (cf. l’Iphigénie de Gluck à l’EHPAD) et ses accessoires (baignoire comprise) : trop fin donc pour décréter que Hamlet est vraiment fou, ce que Shakespeare et même Dumas s’étaient bien gardés de faire. Une façon en fin de compte de re-romantiser l’opéra à la mode d’aujourd’hui, avec ce spectre du père idéal en clown blanc auquel succédera le fils moins idéal en clown noir au visage blanc. Et puis au-delà des warlikowskismes avérés, de grands moments de théâtre creusant encore l’inépuisable mythe, et une direction d’acteurs superlative, culminant dans un affrontement mère (la Reine) – fils dont Lacan se serait délecté. Pour animer cette grande machine iconoclaste, un plateau sans faiblesse autour de Ludovic Tézier, Hamlet de luxe ovationné au rideau final, et comptant quelques-uns des meilleurs représentants du désormais riche vivier vocal francophone. Mention spéciale pour l’Américaine Lisette Oropesa en Ophélie (récemment médaillée des Arts et Lettres) et surtout pour la Suissesse Eve-Maud Hubeau, stealing the show en Reine coupable. Consécration enfin du jeune chef Pierre Dumoussaud dirigeant ce grand-opéra-à-la française contemporain du Don Carlos de Verdi d’un geste large, préférant le panache à la fascinante mise en valeur des trouvailles d’Ambroise Thomas (ah, ce saxophone !) opéré par Louis Langrée à l’Opéra–Comique. 
François Lafon 

Opéra National de Paris-Bastille, jusqu’au 9 avril - En direct le 30 mars  sur Arte concert, et avec le concours de FRA cinéma, dans les cinémas UGC, dans le cadre de leur saison « Viva l’Opéra ! » et dans des cinémas indépendants en France et en Europe, et ultérieurement dans le monde entier. Diffusion le 2 mai dans les cinémas CGR. Diffusion ultérieure sur Arte. En différé le 22 avril sur France Musique
(Photo © DR)

Au Théâtre de l’Athénée-Louis-Jouvet : Orphée et Eurydice d’après Gluck « dans une adaptation libre d’Othman Louati ». Une version chambriste et décalée d’un classique donc, dans la tradition de l’Athénée. On pourrait ajouter « élaguée » pour donner une idée de ce théâtre de l’entre-deux savamment minimaliste : entre deux mondes, entre cœur et raison, entre rêve et réalité, entre vie et mort, entre présence et absence. Visuellement, on oscille entre théâtre et oratorio, tant les mouvements sont rares et les tableaux irréels (mise en scène de Thomas Bouvet). Ce n’est que peu à peu que l’on entre dans cet univers de corps et de voix : quatre choristes en plus des trois solistes, tous voix de l’au-delà (ou de l’en-deçà), l’Amour qui assure le happy end de cette version du mythe qui finit bien n’étant qu’une grande silhouette longiligne au timbre électroniquement retravaillé. Car c’est là que prend place la magie, dans un autre entre-deux qui est le mélange ou l’opposition du son d’époque (huit musiciens de l’ensemble Miroirs Etendus dirigés par Fiona Monbet) et ceux du synthétiseur, auquel viennent s’ajouter les interventions musclées d’une guitare électrique. Cela pourrait être facile et systématique, mais Othman Louati a de l’imagination à revendre. On pourrait aussi trouver les voix un peu vertes, mais Claire Péron est si émouvante en Orphée non binaire (une mezzo chantant en français : hommage à la version Berlioz et à Pauline Viardot ?) et Mariamielle  Lamagat si naturelle en Eurydice. On reproche parfois son statisme à l’Orphée  de Gluck : cette fois, qui s’en plaindra ?
François Lafon

Théâtre de l’Athénéee-Louis-Jouvet, jusqu’au 18 février (Photo©Martin Noda)

A la Philharmonie de Paris, quatrième des dix concerts du 33ème festival Présences de Radio France. Compositrice d’honneur de l’édition : Unsuk Chin, grande dame née en Corée en 1961 et vivant à Berlin, dont la vie est un roman et l’art un palais aux cent portes, chacune ouvrant sur un monde surprenant. Ainsi le concert de ce soir s’articule autour de son 2ème Concerto pour violon « Scherben der Stille », joué par son créateur Leonidas Kavakos, et donné pour la première fois en France. « Un portrait subjectif du violoniste, explique Unsuk Chin, porté par sa musicalité qui est d’une brûlante intensité, et en même temps impeccable et complètement concentrée ». Une remarque qui pourrait aussi s’appliquer à elle : superbe partie de violon, s’inscrivant dans la grande tradition sans jamais en copier les chefs-d’œuvre. L’orchestre, ce soir le Philharmonique de Radio France impeccablement dirigé par Kent Nagano, suggère un voyage dans l’inconnu, entre rêve et réalité. En guise de préparation, rien moins que Bach avec le Ricercar à 6 de l’Offrande Musicale, non dans l’habituelle version Webern mais dans une nouvelle orchestration due à Thomas Lacôte, successeur d’Olivier Messiaen à l’orgue de l’église de la Trinité : une façon d’humaniser le chef-d’œuvre sans le vulgariser alla Leopold Stokowski. Après l’entracte, autre forme d’inconnu. Avec comme frontispice le motet Gerechte Kömmt UmLe Juste meurt et personne n’y prend garde ») revu et corrigé par Bach, Monumenta II ( Monumenta I date de 2013) de Yann Robin réunit chœur et soliste, orchestre, orgue et deux pianos, tous lancés dans la quête, « entre concerto et requiem », d’un « accès à la transcendance par l’art ». Un projet fou comme Berlioz les aimait, mêlant fureur et méditation, ferveur et ironie, idées hardies et procédés connus. Soutenus par un Nagano et un Philharmonique toujours impeccables, le Chœur de Radio France tient le cap, tandis que le duo de pianistes Jean-Frédéric Neuburger – Wilhem Latchoumia joue vaillamment des coudes et des doigts. Applaudissements nourris d’une salle où se pressent musiciens et compositeurs.  
François Lafon 
Philharmonie de Paris, Grande salle Pierre Boulez, 10 février. Festival Présences, jusqu'au 12 février (Photo : Unsuk Chin et Kent Nagano © Radio France - Christophe Abramowitz)

Pour sa première « Carte blanche », le pianiste David Fray en complicité schubertienne avec le baryton Peter Mattei dans Le Voyage d’hiver. « Je vous chanterai un cycle de lieder effroyables… », aurait confié le compositeur à un ami, à la fin de l’année 1827 (…). D’après vingt-quatre poèmes de Müller, ce cycle passé à la postérité est devenu le passage obligé de nombreux chanteurs, ténors, barytons et contraltos. De la tristesse, et même de la mélancolie et de la désolation envahissent chaque poème, mais avec Peter Mattei et David Fray, rien d’effrayant pourtant comme le suggérait Schubert ; nous sommes dans l’aventure du récit. Tout est dosé avec naturel, chaque mot, chaque phrase, portés comme une confession. La voix s’élève à peine, entre parole et chant, tandis que le piano s’efface, réapparaît, pose un accord dans le silence. Une méditation à deux que porte le baryton face au public, du haut de ses deux mètres. Pas de théâtre, juste le texte, ni plus ni moins. Et lorsque le visage s’élève ou se cache, la colère est là, jetée comme un cri ou rentrée, étouffée. On a rarement entendu une telle liberté dans l’expression : la voix pleine, jaillissante. Si le premier lied "Bonne nuit" invite au voyage, serein et apaisé, Peter Mattei le révèle avec une douceur presque chuchotée, mais on entend tout, la poésie coule de source. Et lorsque le piano achève le cycle avec "Le Joueur de vielle", le chanteur retrouve cette douceur infinie qui préludait au cycle ; la voix se fait plus grave sur le chemin des glaces, elle console et cajole à la fois. Schubert, si secret et intime avec Peter Mattei et David Fray. 

Franck Mallet

Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 26 janvier, 20h « Carte blanche à David Fray, I » Schubert, Wintereise D. 911
Peter Mattei (baryton) et David Fray (piano) (Photo : © DR)

• Prochains rendez-vous : le 31 mars (20h) : Schubert et Liszt par David Fray avec la participation de Jacques Rouvier ; 26 juin (20h) : Schubert par David Fray (piano) et Renaud Capuçon (violon)
dimanche 29 janvier 2023 à 19h41
La véritable vedette de Moïse et Pharaon, opéra biblique dans sa version française de 1827, et représenté cet été à Aix (voir ici), est sans nul doute son compositeur. Tout en puisant par-ci par-là, comme de coutume, dans son répertoire buffa ou seria, Rossini tourne le dos à ces deux genres pour mitonner une partition aux souffles impressionnants, métamorphosée par sa francisation : ici, nul bel canto, mais une sublimation du verbe déclamé. Cette capacité, pour un Italien, d’endosser le goût français fait penser à Lully tandis que, côté livret, Etienne de Jouy s’est élevé au niveau des Corneille et Quinault. Et cela, pour annoncer Nabucco…  Avec l’opulent orchestre de l’Opéra de Lyon dirigé par un Daniele Rustioni toujours aussi inspiré, Rossini ne pouvait être mieux servi, sans oublier les chœurs de ce même Opéra, décidemment à faire pâlir d’autres réputés plus grands. Les chanteurs forment un ensemble de haut niveau (avec une mention particulière pour le Moïse de Michele Pertusi et la Sinaïde de Vasilisa Berzhanskaya…), si l’on excuse Anaï et Aménophis, deux jeunesses pleines d’énergie, mais de là à en faire deux pantins gesticulant et tonitruant, c’est une limite qu’il n’était pas utile de franchir. Suivons maintenant le déroulement de ce Moïse main dans la main avec le metteur en scène, Tobias Kratzer, vaillant soldat de l’école allemande du Regietheater, laquelle, en un demi-siècle, de novatrice s’est muée en académisme. Au premier acte, l’ennui qu’il instille sur toute la moitié Cour de la scène gagne immanquablement le spectateur. Soulagement au début du deuxième acte (introduit avec cette élégante énergie qui fait la signature de Daniele Rustioni) car, dramaturgie oblige, il se passe dans la pénombre et la léthargie. Un moment de grâce. Le ballet du troisième acte ? Cela n’a aucun sens, déclare Kratzer. Heureusement, le chorégraphe Jeroen Verbruggen n’est pas de cet avis, et c’est un autre moment de grâce - il y en aura d’autres encore. A force de tant de conventions, on craint le pire pour le quatrième acte, le franchissement de la Mer Morte. Kratzer va-t-il nous servir zodiacs et gilets de sauvetage ? Eh bien, oui. Ce pourrait être une blague ? Non, pas du tout.  Las, il cède la place à la vidéo de Michael Braun, plaisante à voir, puis, dernier moment de grâce, au chœur dispersé au parterre.. Alors les privilégiés qui y siègent auront cette impression jouissive d’avoir assisté à une représentation mémorable, ce qui est vrai, mieux encore les yeux fermés (sauf pour le ballet, naturellement), sauvée par le gong.
Albéric Lagier
 
Opéra National de Lyon les 20, 22, 24,26, 28, 30 janvier et 1er février. Coproduction Opéra de Lyon, Festival d’Aix-en-Provence et Teatro Real de Madrid.  (Photo © DR Opéra National de Lyon)

vendredi 27 janvier 2023 à 01h43
Au Palais Garnier, première de Peter Grimes de Benjamin Britten dans la mise en scène de Deborah Warner créée à Barcelone entre deux confinements et passée par Londres, avec chaque fois dans le rôle-titre le ténor britannique Allan Clayton. Un historique qui a son importance, car c’est la première fois que le nom de la metteur en scène apparaît à l’affiche de l’Opéra de Paris, ce qui laisse rêveur eu égard à sa notoriété au théâtre et à l’opéra, quelques curieux devant se souvenir entre autres d’un fascinant Tour d’écrou (déjà Britten) exporté du Covent Garden à la MC 93 de Bobigny en 1998, avec le mémorable Ian Bostridge en revenant. Aucune huée – fait rare à l’opéra – au rideau final de ce Peter Grimes, peut-être parce que l’actuel académisme en est absent (pas de vidéo ni de réécriture du scénario à des fin d’actualisation). Qu’en est-il besoin d’ailleurs, l’histoire du pêcheur « différent » rejeté par ses contemporains étant intemporelle ?  Seule concession, justement : la transposition de l’action à notre époque, Deborah Warner tenant à « éviter une sentimentalisation dangereuse de la pauvreté du passé » façon Misérables (le musical bien entendu). Nous sommes donc bien de nos jours dans un petit bourg déshérité de la côte est de l’Angleterre, un univers alla Ken Loach où nous assistons à une démonstration terrifiante de l’effet de meute (le groupe contre un individu), thème récurrent chez Britten l’homosexuel doublé d’un objecteur de conscience. On pense aussi à Marcel Carné et à son « réalisme poétique », tant la crudité du propos est à la fois tempérée et exacerbée, ne serait-ce que par la paradoxale fragilité du massif Allan Clayton, lequel cumule les qualités des deux interprètes historiques de l’ouvrage : l’ambigu Peter Pears et le plus direct Jon Vickers. Etrange beauté de cette chasse à l’homme superbement chorégraphiée, survolée par un corps emporté par le vent (la vague ?) venant s’écraser au sol quand le cas de Grimes le (présumé) bourreau de petits mousses est réglé. Formidable direction d’acteurs, solide chœur (omniprésent), troupe sans point faible où se distinguent le grand Simon Keenlyside et la moins connue Maria Bengtsson en défenseurs du paria. Bonne direction du jeune chef britannique Alexander Soddy à la tête d’un orchestre de l’Opéra maître dans l’art de faire scintiller les couleurs et danser les rythmes de cette musique à la fois si proche et si mystérieuse.
François Lafon 
Opéra National de Paris, Palais Garnier, jusqu’au 24 février – En différé sur France Musique le 25 février

Photo : Vincent Pontet / OdP
jeudi 26 janvier 2023 à 00h29
Entre deux représentations de Tristan et Isolde à l’Opéra Bastille, Gustavo Dudamel se donne carte blanche au Palais Garnier. Salle comble, micros et caméras pour l’« Odyssée musicale » (la formule est de lui) que propose la star dans ses murs. S’attendait-on à retrouver le prodige à ses débuts, quand il dirigeait dans une atmosphère de fête son Orchestre Simón Bolívar, que l’on a déchanté. Il s’agit d’abord, avec l’Orchestre de l’Opéra, de mettre en valeur quelques membres de l’actuelle promotion de l’Académie maison lors d’un des « rites de passage » annuels consistant à affronter l’illustre salle. Quant au répertoire de ce voyage au bout de la latinité en musique, il est, jusqu’à l’entracte du moins, de qualité (superbes Granados, Obradors et Guastavino) mais pas très dansant, allant de Villa-Lobos (l’illustre 5ème des Bachianas Brasileiras pour voix et violoncelles, où la soprano Martina Russomanno affronte vaillamment le souvenir de … Joan Baez) à Granados via Piazzola (Oblivion arrangé pour orchestre, où se distingue la basse Alejandro Balinas Vieites) et se termine néanmoins sur un éclat de rire à six voix : le "Ice Cream Sextett" de Street Scene, musical à succès de Kurt Weill dans sa seconde vie américaine. Eclaircie après l’entracte avec Bernstein où la mezzo Marine Chagnon fait sourire (Trouble in Tahiti) et pleurer (belle Anita de West Side Story), le tout se terminant, après la découverte de l’Espagnol Barbieri et de l’Argentin Salgan, sur un message à six voix plein de sagesse : le sublime YoukaliC’est le pays de nos désirs ») de Weill en route vers l’exil. Ovation - ô combien méritée - pour l’orchestre et les chanteurs, le chef ne sortant de son rôle de faire-valoir que pour relancer, en bis, un "Ice Cream Sextett" encore plus goûteux. De la part d’un maestro dont la moindre levée de baguette vaut de l’or, on peut appeler cela la classe.  
François Lafon 
Opéra National de Paris, Palais Garnier, 25 janvier – Disponible sur Arte Concert, diffusion ultérieure sur Arte et la plateforme de l’Opéra de Paris – En audio le 6 février sur France Musique

Photo : Danny Clinch /OnP
Début d’année à l’Opéra-Comique : Le Voyage dans la Lune d’Offenbach. Lequel, puisque trois productions de cet opéra-féerie à grand spectacle se croisent actuellement ? Et pourquoi cet engouement pour l’Offenbach d’après l’Empire (1875), en partie privé de son principal moteur de recherche : la satire politique ? A posteriori, tout se justifie : prévue en 2021 mais filmée à huis-clos pour cause de pandémie, cette version enfin présentée en public donne la vedette à la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique. Et que raconte ce Voyage dans lequel les enfants sont rois ? L’aventure d’un jeune prince (bien) nommé Caprice qui, plutôt que de marcher dans les pas de son père le roi V’lan sur une terre devenue irrespirable, préfère demander la Lune et y aller à bord d’un obus fabriqué par l’ingénieur Microscope. Aux Sélénites (de Séléné, la Lune en grec), les Terriens apporteront le meilleur et le pire : l’amour. Plutôt que faire un clin d’œil à la Lune façon Méliès (option du metteur en scène Olivier Fredj, dont la version « Génération Opéra » tourne actuellement en France – voir ici), Laurent Pelly - offenbachien de longue date avec sa dramaturge-réécriveuse Agathe Mélinand - a joué au « jeu de l’envers » : « Quelle splendide fête, ici l’on apprête. Regardons, admirons ! Pour sûr, c’est nous qui la paierons », chantent les enfants-Terriens au milieu d’une décharge de plastique. La Maîtrise y fait preuve d’une belle… maîtrise scénique et musicale (chapeau à ses formateurs) autour du vétéran Franck Leguérinel (V’lan). A la tête des toujours impeccables Frivolités Parisiennes, la chef Alexandra Cravero donne toutes ces chances à cet Offenbach dernière manière au génie intact, revisité par les spécialistes Thibault Perrine et Jean-Christophe Keck.  
François Lafon

Opéra-Comique, Paris, jusqu’au 3 février (Photo © Stéphane Brion)

dimanche 22 janvier 2023 à 18h59
Deux jalons du XXème siècle par l’Ensemble Intercomtemporain à la Philharmonie de Paris : Déserts d’Edgard Varèse (1954) et Jagden und Formen de Wolfgang Rihm (1995-2008). De la création de Déserts, on peut encore entendre, enregistré par la radio, le chahut égal à celui qui avait accueilli Le Sacre du printemps de Stravinsky au même Théâtre des Champs-Elysées un presque demi-siècle auparavant. Varèse n’ayant pas eu le temps de réaliser lui-même le film qu’il rêvait de voir accompagner sa pièce « pour vingt musiciens avec interpolations de bande magnétique », c’est le vidéaste américain Bill Viola qui s’en chargea en 1994. Dehors-dedans, terre et eau, haut et bas, déserts de sable mais aussi parking désert, maison qui brûle et artiste rêvant le (son) monde dans une chambre close, théière tombant au sol au ralenti dans un tsunami d’éclaboussures, le tout filmé « alla Viola », c’est à dire entre flou et net, monochrome et coloré : le film-concert est désormais un classique encore sujet à discussion au moment où  Tristan et Isolde mis en scène par Peter Sellars et vidéasté par Viola est repris à l’Opéra Bastille, l’évocation d’un état ou d’un sentiment par la musique et par l’image ne faisant pas toujours bon ménage, comme en fait foi l’actuelle mode du tout-écran à l’opéra. Impeccablement dirigée par Matthias Pintcher, l’œuvre étonne toujours par l’unité qui se dégage de la juxtaposition de quatre parties instrumentales (vents, percussions, piano) et de trois interpolations de bruits industriels savamment musicalisés). Lors de la création, le chef Hermann Scherchen avait prévu le chahut et programmé en seconde partie la Symphonie "pathétique" de Tchaikovski. Aujourd’hui, devant une Grande salle Pierre Boulez bien garnie, la vaste pièce de Rhim, plusieurs fois retravaillée par « surécriture ou peinture ajoutée » et témoignant d’une accession à lui-même de l’artiste, confirme le chemin parcouru par cette musique savante qui fait encore si peur.
François Lafon 

Philharmonie de Paris, Grande salle Pierre Boulez, 22 janvier (Photo © DR)

On attendait beaucoup (trop peut-être) de cette première d’un ouvrage lyrique de Bernstein à l’Opéra de Lyon : créé plus d’un demi-siècle plus tôt sur la scène de Broadway (1956), Candide connut ensuite plusieurs transformations, ajouts et coupures… assortis de nouvelles représentations, jusqu’à sa récente édition publiée en 1989 – soit quelques mois avant le décès de son auteur. Cette « comic operatta », (« Opérette comique » ?) qui requiert néanmoins un grand orchestre d’opéra, jongle entre les genres – non sans habileté avec un tel compositeur –, entre jazz, classique et comédie musicale. Si Offenbach semble bien être le modèle comique de Bernstein, on pourrait tout aussi bien y voir l’influence de Weill, dont le style pénétra en profondeur la scène de Broadway – années 1930 et 40 –, lui insufflant ce mélange caractéristique des styles et une certaine conscience politique. Dans le contexte d’une Amérique rongée par le maccarthysme et la guerre du Vietnam, adapter ce conte de Voltaire, à la fois satirique, humaniste et philosophique, n’était certes pas anodin.
Créé en France (dans une traduction française) à Saint-Étienne en 1995, l’ouvrage connaît ensuite une nouvelle production à Paris – pétulante à souhait ! – grâce au metteur en scène Robert Carsen, en 2006, suivie d’une autre, par Sam Brown, non moins réussie, pour l’Opéra national de Lorraine, sept ans plus tard. Pour qui avait eu la chance de voir ces deux derniers Candide, le spectacle lyonnais avait de quoi désappointer, non que le chef d’orchestre, Wayne Marshall, distingué à juste titre dans le répertoire américain (Porgy and Bess, Gatsby le Magnifique, Dead man walking…) à la tête d’un impeccable orchestre, peine à la tâche, bien au contraire. En revanche, quelle idée  – pour une création revendiquée « de fêtes fin d’année » – de proposer un plateau entièrement nu, sans décor hormis une bulle gigantesque, mappemonde symbolisant le voyage de Candide de la « vieille Europe » vers le Nouveau  Monde ? Pour son premier ouvrage lyrique sur un scène française, l’Américain Daniel Fish se repose sur la chorégraphe Annie B. Parson – liée, elle, à l’avant-garde new-yorkaise, de Laurie Anderson à David Byrne, en passant par Spike Lee –, qui met en scène une cinquantaine de figurants, dont les choristes de l’Opéra, pour d’agréables poses plastiques à partir d’un jeu de chaises – pas si musicales d’ailleurs, tant mouvements et gestes semblent indifférents au récit. Jeune chanteur chevronné, le ténor Paul Appleby s’ennuie dans le rôle de Candide, clown triste désarçonné par un tel vide sidéral, tout comme sa partenaire, la soprano Sharleen Joynt (Cunégonde), qui souffre elle aussi d’une absence d’écrin pour sa voix, même si elle domine le redoutable air « Glitter and be gay », avec un aigu plus stratosphérique que charnu. Derek Welton, Tichina Vaughn et Pawel Trojak, respectivement Pangloss (« Columbus and his men… », « Well, the Moor… » et « Millions of rubles… »), La Vieille dame (« No doubt… », « I was one… », etc.) et Martin (« Chanson du rire ») s’en tirent beaucoup mieux avec des voix certes plus graves mais bien timbrées. Mention spéciale au Chœur de l’Opéra, sollicité généreusement par la partition, jusqu’à l’explosif final mené grand train par un Wayne Marshall à son affaire.
Franck Mallet
 
Lyon (Opéra) 16 décembre, 20h (Photo : © Bertrand Stofleth)
 
•Prochaines représentations : dimanche 18, mardi 20, Jeudi 22, lundi 26, mercredi 28 et vendredi 30 décembre, 1er janvier
 
 

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