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Concerts & dépendances
GerMANIA, le XXème siècle pour solde de tout compte
mercredi 30 mai 2018 à 23h57
A l’Opéra de Lyon, création de GerMANIA d’Alexander Raskatov d’après Heiner Müller. Un opéra en deux actes et dix scènes, « des séquences séparées comme les tableaux d’une même époque, dans l’esprit d’Eugène Onéguine de Pouchkine ». Pas grand-chose cependant de Tchaikovski chez Raskatov, né le jour de l’enterrement de Staline et connu pour son opéra Cœur de chien - sarcastique comme le roman de Boulgakov dont il s’inspire - ni chez Müller, dramaturge phare de l’Allemagne des années 1960-1990, dont Quartett d’après Laclos est un classique du théâtre public en France. Dans ses pièces « structuralistes » Germania 1 et 3 (le 2 n’existe pas) dont Raskatov a fait son livret, Müller fait dialoguer Hitler et Staline, essayer le cercueil de Bertolt Brecht par un travailleur de la même taille que le poète (détail historique) et chanter « Heil Staline » par le Géant rose, serial killer dont la mère a été violée en 1945 par douze soldats russes, tout cela sauvé du militantisme primaire et du ressassement des traumatismes mal digérés (mais sont-ils digérables ?) par un talent de plume et un don  pour la dérision qui font de lui un père de la dramaturgie moderne. Sans le paraphraser, Raskatov en rajoute : fanfares insistantes, Internationale avortée, tessitures étirées (Hitler en ténor criard, Staline en basse des Chœurs de l’Armée rouge), références grinçantes, tel le sextuor sur « Heil Hitler » des trois dames assassinées par un SS croate et de leurs maris morts. Dans le programme, notre confrère Franck Langlois place GerMANIA dans la lignée des ironiques Nez de Chostakovitch et Life with an Idiot de Schnittke. Difficile en effet de remonter à L’Ange de feu de Prokofiev, aux Diables de Loudun de Penderecki ou aux extrémistes Soldats de Zimmermann, dont la musique est tout aussi coup de poing (elle l’est même davantage) mais paraît moins distanciée (Brecht, encore) aux oreilles de notre époque. Direction musclée de l’Argentin Alejo Pérez, plateau d’acteurs-chanteurs de l’extrême (dont la très raskatovienne Elena Vassilieva), mise en scène de John Fulljames évitant la redondance : rochers wagnériens faits d’amas de vêtements où pourrissent les cadavres et s’emmêlent les vivants, scène tournante et planète désolée lorsque Gagarine apparaît en apesanteur et que s’affiche sa phrase célèbre « Sombre, camarades, est l’espace, très sombre » tandis que retentit un superbe Auschwitz Requiem aux accents stravinskiens. 
François Lafon

Opéra de Lyon, jusqu’au 4 juin. En différé sur France Musique le 3 juillet (Photo © DR)

 

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