Lundi 2 décembre 2024
Concerts & dépendances
A l’Opéra de Lyon, création de GerMANIA d’Alexander Raskatov d’après Heiner Müller. Un opéra en deux actes et dix scènes, « des séquences séparées comme les tableaux d’une même époque, dans l’esprit d’Eugène Onéguine de Pouchkine ». Pas grand-chose cependant de Tchaikovski chez Raskatov, né le jour de l’enterrement de Staline et connu pour son opéra Cœur de chien - sarcastique comme le roman de Boulgakov dont il s’inspire - ni chez Müller, dramaturge phare de l’Allemagne des années 1960-1990, dont Quartett d’après Laclos est un classique du théâtre public en France. Dans ses pièces « structuralistes » Germania 1 et 3 (le 2 n’existe pas) dont Raskatov a fait son livret, Müller fait dialoguer Hitler et Staline, essayer le cercueil de Bertolt Brecht par un travailleur de la même taille que le poète (détail historique) et chanter « Heil Staline » par le Géant rose, serial killer dont la mère a été violée en 1945 par douze soldats russes, tout cela sauvé du militantisme primaire et du ressassement des traumatismes mal digérés (mais sont-ils digérables ?) par un talent de plume et un don  pour la dérision qui font de lui un père de la dramaturgie moderne. Sans le paraphraser, Raskatov en rajoute : fanfares insistantes, Internationale avortée, tessitures étirées (Hitler en ténor criard, Staline en basse des Chœurs de l’Armée rouge), références grinçantes, tel le sextuor sur « Heil Hitler » des trois dames assassinées par un SS croate et de leurs maris morts. Dans le programme, notre confrère Franck Langlois place GerMANIA dans la lignée des ironiques Nez de Chostakovitch et Life with an Idiot de Schnittke. Difficile en effet de remonter à L’Ange de feu de Prokofiev, aux Diables de Loudun de Penderecki ou aux extrémistes Soldats de Zimmermann, dont la musique est tout aussi coup de poing (elle l’est même davantage) mais paraît moins distanciée (Brecht, encore) aux oreilles de notre époque. Direction musclée de l’Argentin Alejo Pérez, plateau d’acteurs-chanteurs de l’extrême (dont la très raskatovienne Elena Vassilieva), mise en scène de John Fulljames évitant la redondance : rochers wagnériens faits d’amas de vêtements où pourrissent les cadavres et s’emmêlent les vivants, scène tournante et planète désolée lorsque Gagarine apparaît en apesanteur et que s’affiche sa phrase célèbre « Sombre, camarades, est l’espace, très sombre » tandis que retentit un superbe Auschwitz Requiem aux accents stravinskiens. 
François Lafon

Opéra de Lyon, jusqu’au 4 juin. En différé sur France Musique le 3 juillet (Photo © DR)

Ouverture, dans la grande nef du musée d’Orsay, du Festival baltique illustrant l’exposition Âmes Sauvages - Le symbolisme dans les pays baltes. Une semaine de musique, cinéma, photo, entretiens, ateliers et même dégustations (saveurs boréales) pour rendre à la triade Lettonie – Estonie – Lituanie une visibilité que l’histoire et la politique lui ont longtemps refusée. Eclectisme dans le choix des programmes musicaux, traversant un bal électro balte (sic) pour se terminer, le 29 mai, en compagnie de la pianiste lituanienne Muza Rubackyté. Ce soir, public nombreux et peu regardant sur le confort et la visibilité (le socle de "Napoléon 1er législateur", sculpture d’Emmanuel Guillaume - 1860 - est aussi volumineux que dur au postérieur) pour la Kremerata Baltica et le Chœur de Chambre Philharmonique Estonien. Les oreilles, il est vrai, sont à la fête, au moins autant que les yeux après la visite de l’exposition, laquelle dépasse le cadre du symbolisme annoncé. Rien de violent ni d’urticant dans les œuvres choisies par Gidon Kremer, acclamé lorsqu’il dirige et tient la partie de violon du tube d’Arvo Pärt Fratres, les autres pièces, moins connues, se révélant entêtantes (Flowering Jasmine de Georgs Pelécis), orantes (Estonian Lullaby de Pärt), vibrionnantes (Symphonie pour cordes et percussions de Lepo Sumera), insaisissables (les  Danses sacrée et profane de … Debussy, décidément omniprésent), efflorescentes dans le cas de trois petites pièces de Mikalojus Konstantinas Ciurlionis, génie précoce (né comme Ravel en 1875 mais mort à trente-cinq ans,) et doublement surdoué (peintre et musicien), considéré dans son pays (la Lituanie) comme le fondateur de l’art moderne, ce dont témoignent ses tableaux (nombre d’entre eux dans l’exposition) davantage que sa musique. Favori du public à l’applaudimètre : le très sucré Fruit of Silence (2013) de Pëteri Vasks. Il est vrai que le Chœur de chambre Estonien est un des meilleurs qui soient. 
François Lafon 

Musée d’Orsay, Paris, Festival baltique jusqu’au 29 mai. Exposition  Âmes Sauvages. Le symbolisme dans les pays baltes jusqu’au 15 juillet (Photo © DR)

Entre deux Parsifal à l’Opéra Bastille (voir ici), Philippe Jordan termine, avec l’Orchestre de l’Opéra à la Philharmonie de Paris, son intégrale en trois concerts des Symphonies de Tchaïkovski. Ce soir : la 6ème « Pathétique », couronnement de la « trilogie du destin » (avec la 4ème et la 5ème), précédée de la 3ème « Polonaise », parente pauvre du groupe des trois premières, dites « petites symphonies ». Grand écart entre ces deux œuvres espacées de vingt années, la 3ème (encore timide affranchissement des canons classiques) exaltant la danse et se terminant par une polonaise (d’où le titre), la très personnelle « Pathétique » s’éteignant sur un prémonitoire requiem, celui de Tchaïkovski qui mourra mystérieusement (hasard, volonté, destin ?) quelques jours après sa création. Tâche du chef : soutenir les faibles et retenir les forts, en l’occurrence animer la séduisante mais longue 3ème et empêcher la 6ème de sombrer dans le pathos. Mission presque accomplie (à l’impossible nul n’est tenu) pour la « Polonaise », où la marche funèbre et la valse sont données comme des pré-échos de celles - autrement plus évocatrices - de la « Pathétique », cette dernière comme chauffée par sa cadette, jouée plus tragédie que (mélo)drame par un Orchestre de l’Opéra digne des plus grandes formations d’estrade. Triomphe mérité pour les solistes (somptueuse petite harmonie) étreints alla Leonard Bernstein par Jordan, lequel confirme-là ses dons de surdoué pluridisciplinaire. 
François Lafon

Philharmonie de Paris, Grande salle Pierre Boulez, 15 mai. A voir sur Culturebox et les sites de la Philharmonie (live.philharmoniedeparis.fr) et de l’Opéra de Paris. Diffusion ultérieure sur France 3, Mezzo et TF1 (Photo © DR)
 
Troisième et dernier « Lundi musical » de la saison au théâtre de l’Athénée : Kindertotenlieder par Edwin Fardini (baryton-basse), avec Tanguy de Williencourt (piano) et Adrien La Marca (alto). Un inconnu donné dans le petit monde musical comme une valeur sûre de demain après Stéphane Degout et Stanislas de Barbeyrac, valeurs sûres d’aujourd’hui : double audace dans le style maison. Programme très pensé pour cet - encore - élève au Conservatoire Supérieur de Paris, le cycle de Mahler terminant la soirée, précédé des deux Gesänge op. 91 avec alto de Brahms (le premier sur un poème de Friedrich Rückert, comme les Kindertotenlieder), la première partie rendant hommage à Heinrich Heine mis en musique en allemand par Liszt et en français par Guy Ropartz. Courtes présentations sous forme de mots-clés par l’artiste : présence évidente, sérieux imperturbable, diction nette qui se confirmera (ce n’est pas toujours le cas) lorsque celui-ci chantera. Les Liszt passent tout naturellement - voix profonde, musicalité sans effets, quelques accrocs probablement dus au trac - comme passeront les Brahms avec l’alto non moins profond de La Marca, comme passera le Mahler, avec un supplément d’âme, une émotion jusqu’ici retenues. Le grand moment n’est pas le plus attendu : ce sera les Quatre Poèmes d’après l’Intermezzo de Heine, musique superbe et oubliée où Ropartz rend hommage à son maître Franck et à son confrère Chausson (Poème de l’amour et de la mer), et où Edwin Fardini manie la si difficile mélodie française avec un naturel entretenu par Tanguy de Williencourt, dont les qualités de chambriste ne sont pas pour rien dans le succès de la soirée.
François Lafon

Théâtre de l’Athénée, Paris, 14 mai (Photo : E. Fardini-T. de Williencourt © DR)

Première à l’Opéra Bastille de Parsifal, retardée depuis le 27 avril par la rupture d’un câble soutenant un contrepoids de dix-huit tonnes. Un spectacle à décors en effet, mobilisant le système-maison de plateaux coulissants tant vanté mais rarement utilisé à vue. Un Parsifal de chambre pourtant, sans forêt au printemps ni temple à colonnes, le metteur en scène Richard Jones concentrant l’action sur le dualisme dogme/pornographie – deux façons fallacieuses d’échapper à l’angoisse humaine, représentées, pour le premier, par un collège-secte vivant au rythme d’un rituel qui fera son temps, et pour la deuxième par les sortilèges plus scientifiques que magiques du généticien Klingsor. On aura compris qu’une fois encore la fable est actualisée, mais de façon plus consensuelle qu’avec Krzysztof Warlikowski, dont le Parsifal diversement apprécié a fait long feu sur la même scène (2008). Jones - dont L’Enfant et les sortilèges (Ravel) au Palais Garnier finissait dans l’enfer des tranchées -, manie cependant une ironie que l’on peut qualifier de britannique, montrant les Filles Fleurs en (pas très pornographiques) épis de maïs transgénique et les Chevaliers du Graal (plus bacheliers que chevaliers) suivant Parsifal en black bloc après avoir jeté aux orties chasubles et livres saints. Public ravi (rassuré ?) au rideau final, au grand dam des amateurs de wagnérisme plus sulfureux. Chambriste aussi - mais au sens où l’entendait Karajan - la direction de Philippe Jordan, travaillant la transparence (française ?) de son excellent orchestre et de chœurs impeccables. Une intimité qui profite aux chanteurs, lesquels ne sont pas obligés de faire la grosse voix, soit qu’ils n’en possèdent - ou n’en exploitent - pas le creux (le par ailleurs émouvant Günther Groissböck en Gurnemanz pas trop chenu), soit qu’ils wagnérisent alla Fischer-Dieskau, tel le raffiné Peter Mattei (Amfortas). Beau couple Kundry-Parsifal - pourtant peu flatté au deuxième acte en tenue légère sur plateau nu -, Anja Kampe passant de la séduction au dévouement avec une timbre riche en couleurs, Andreas Schager faisant éclore le meneur d’hommes du Chaste Fol avec une sûreté vocale et une présence scénique remarquables.
François Lafon 

Opéra National de Paris – Bastille, jusqu’au 23 mai. En différé sur France Musique le 27 mai (Photo © Emilie Brouchon/Opéra national de Paris)

Dimanche, pour son dernier week-end, le Festival de Pâques retrouve les poulains de la Fondation Singer-Polignac pour un concert Brahms et Fauré à partir du noyau du Quatuor Strada, constitué de Pierre Fouchenneret, 1er violon (photo), Lise Berthaud (alto) et François Salque (violoncelle). Rejoint par Shuichi Okada, second violon et Adrien Boisseau, second alto, l’ensemble aborde Brahms – Quintette à cordes en fa mineur, op. 88 – avec sérénité et passion. Les tempi sont vifs, au point que le premier mouvement déboule « à l’arraché ». Rivé à sa chaise, Pierre Fouchenneret entraîne ses compagnons qui le regardent, surpris, et le suivent, enhardis du même enthousiasme. Ce n’est certes pas un Brahms mièvre ou doloriste qu’ils jouent, ce soir-là. Un premier volume d’une intégrale de sa musique de chambre enregistrée live lors du Festival (Quatuors pour piano et cordes, avec Éric Le Sage) devrait d’ailleurs sortir prochainement ; gageons que cette interprétation flamboyante la rejoigne (B Records). En seconde partie, le Quatuor pour piano et cordes n° 2 en sol mineur, op. 45 de Fauré enflamme le public. Avec Ismaël Margain au piano, la partition propulse les cordes dans un tourbillon frénétique : les coloris savoureux de Fauré défilent comme dans un paysage gonflé par le vent : du rythme et du chant à n’en plus finir, que chacun souligne avec une grâce exceptionnelle. Ici, le piano de Margain s’emballe – 2ème mouvement –, tandis que là – 3ème mouvement –, les cordes vibrent l’une après l’autre. Avec un dernier mouvement si étonnamment agité – au point que l’élève Ravel s’en souviendra pour son propre Quatuor à cordes –, les quatre musiciens obtinrent un succès mérité, et offrirent même en bis l’Adagio du Premier Quatuor pour piano et cordes, du même Fauré.
Franck Mallet
 
29 avril, Salle Élie de Brignac, Deauville (Photo © DR)
 
mardi 1 mai 2018 à 19h50
Dernier week-end du Festival de Pâques, avec deux concerts soutenus par la Fondation Singer-Polignac, où l’on retrouve une majorité de « ses » jeunes musiciens dans leur répertoire de prédilection, la musique de chambre. En réunissant le samedi Mahler, Berg et Stravinsky, mondes ancien et nouveau s’interpénètrent à la frontière du XXe siècle, si ce n’est que ce Quatuor pour piano et cordes d’un Mahler de dix-sept ans n’annonce pas vraiment le compositeur de symphonies et de cycles de lieder… En outre, la juxtaposition du Quatuor pour piano et cordes de 1988 de Schnittke, inspiré par le mouvement abandonné du Quatuor de Mahler, est l’une des pièces, courtes et tardives… les moins inspirées du Russe. À l’inverse, les Sieben frühe Lieder de Berg (1908), dans l’arrangement récent pour orchestre de chambre de Reinbert de Leeuw, sont au contraire un modèle de raffinement d’écriture, baigné par les dernières lueurs du romantisme, sous l’égide de poètes allemands pénétrés des merveilles de la nature. Dans un tel répertoire, la mezzo Adèle Charvet ne manque certes pas de charme, mais d’une assurance qui lui permettrait de restituer les timbres soyeux – et justement mahlériens ! – d’une partition si intense – la direction un brin guindée de Pierre Dumoussaud n’étant pas non plus un atout. Heureusement, l’Histoire du Soldat de Stravinsky rachète en deuxième partie cette introduction bancale. C’est pourtant le même chef que l’on retrouve dans cette partition qu’il a déjà dirigée (pour le chorégraphe Jean-Claude Gallotta), et dont il maîtrise tous les arcanes. Avec le violon magique – et même diabolique, avec une telle partition ! – de David Petrlik (photo), idéal de précision et de rythme, tout comme l’est le cornet de Henri Deléger, cette Histoire du Soldat retrouve la force primitive du Sacre, bien scandée par le théâtre mobile du « couple » formé par Maxime Coggio, le Soldat, et Gabriel Acremant, le Diable – qui volaient ce soir-là, avec les sept musiciens et le chef, la vedette à Didier Sandre, Lecteur pâlichon.                 
Franck Mallet
 
28 avril, Salle Élie de Brignac, Deauville (Photo © DR)
 
 

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