Fin de saison à l’Opéra de Lyon : L’Enlèvement au sérail de Mozart. Un Enlèvement révisité : le metteur en scène Wajdi Mouawad, auteur dramatique libano-canado-français, naguère coqueluche du festival d’Avignon et depuis peu successeur de Stéphane Braunschweig à la tête du Théâtre de la Colline, en a revu la dramaturgie et réécrit les dialogues parlés. « J’ai le sentiment que si, au temps de Mozart, il était bon de rire des Ottomans comme pouvait le faire Molière dans Le Bourgeois Gentilhomme et d’en faire nos « têtes de Turcs », aujourd’hui, ce rire peut être interprété dangereusement si l’on ne prend pas le temps de le dégager de ce que l’actualité pourrait lui faire dire à nos dépens. ». En teintant à la manière de Diderot le singspiel mozartien de moralisme, en lui ajoutant un prologue explicatif (« Ces effroyables mahométans ? »), en évitant d’actualiser l’action (presque une audace, par les temps qui courent), il prend le contrepied d’un Martin Kusej, dont l’ « Enlèvement chez Daesh » avait fait long feu au festival d’Aix il y a deux ans. Mais la démonstration n’est pas toujours légère, et une bien-pensance peut en cacher une autre. Sa mise en scène sauve la mise, plus agile à jongler avec les codes Orient - Occident, à retrouver l’ambiguïté légèreté - gravité chère à Mozart, comme en témoigne la scène qui ouvre la seconde partie, où les prisonniers travaillent à leur évasion tout en participant à la grande Prière. Plateau jeune, dominé par Cyrille Dubois (Belmonte), Joanna Wydorska (Blonde) et David Steffens en Osmin débouffonisé, direction vif-argent (au prix de quelques dérapages) du violoniste-chef Stefano Montanari, achevant d’entretenir le doute quant à la pérennité du message des Lumières en notre époque troublée.
François Lafon
Opéra National de Lyon, jusqu’au 15 juillet Photo © Stofleth
Clôture du 4ème Festival Palazzetto Bru Zane (Venise) aux Bouffes du Nord : Quatuor romantique avec le Quatuor Mosaïques. Un romantisme élargi : 2ème Quatuor de Gounod (renié par son auteur, redécouvert en 1993) à la manière très 3ème République des classiques viennois, Quatuor de Debussy, à peine postérieur, encore « selon les règles » mais tellement plus prospectif, double piste d’envol pour le 2ème Quatuor de Benjamin Godard, héros de l’année au Palazzetto, et le plus romantique des trois. Mais qu’est-ce que le romantisme à la française, en cette fin de XIXème siècle où l’Ars gallica lutte tant bien que mal contre le wagnérisme déferlant ? Franco-Viennois, connus pour leur jeu historiquement informé et l’équilibre de leurs pupitres (du leader Erich Höbart, ex-du Quatuor Vegh, au violoncelliste classé baroque Christoph Coin), Les Mosaïques mettent tout naturellement en lumière le sérieux et la densité (germaniques ?) dont témoignent ces œuvres ostensiblement françaises. Témoins : l’étonnant Allegretto chuchoté du Quatuor de Gounod (bissé - et encore plus étonnant - en fin de concert), ou le mendelssohnien Allegro molto final de celui de Godard.
François Lafon
Bouffes du Nord, Paris, 4ème Festival Palazzetto Bru Zane, 9 juin Photo © DR
4ème Festival Palazzetto Bru Zane (Venise) aux Bouffes du Nord : L’Invitation au voyage, mélodies françaises - années 1890 (Fauré, Lekeu, Hahn, Koechlin, Debussy, Duparc) par Marie-Nicole Lemieux (contralto) et Daniel Blumenthal (piano). Question de Christophe Huss, Français installé au Canada et chroniqueur musical du quotidien Le Devoir : « D’où vient la cote d’amour, sentimentale autant qu’artistique, du public français pour cette chanteuse ? » Une évidence … et une colle. L’évidence : sa voix (rare, un vrai contralto), sa musicalité (naturelle, sans effet extérieur), son intelligence des textes. Ce soir, grands moments musicaux - du presque parlé aux grandes orgues vocales - avec Reynaldo Hahn (Fêtes galantes - Verlaine), Charles Koechlin (L’hiver - Théodore de Banville), Debussy (Colloque sentimental d’anthologie), Duparc (impeccable Phidylé). En bis : somptueuse Prière de Jocelyn, de Benjamin Godard, musicien de l’année au Festival. La colle : grand moment de théâtre quand le pianiste enchaîne sur Debussy en oubliant Koechlin : « Ah non, je tiens à mon ordre ! ». Rire (communicatif), aparté : « Il est timide ». Un talent comique, aucun cabotinage. Tentative de réponse à la question : Marie-Nicole Lemieux est comme elle chante, le cœur sur la main, pas la main sur le cœur. Une spécialité québécoise, peut-être.
François Lafon
Bouffes du Nord, Paris, 4ème Festival Palazzetto Bru Zane, jusqu’au 9 juin Photo © Alvaro Yañez
A l’Auditorium de Radio France dans le cadre de ManiFeste, festival de l’IRCAM : concert Yan Maresz – Magnus Lindberg –Witold Lutoslawski. En un mois et géographiquement éclaté (Beaubourg, Philharmonie, Bouffes du Nord, Cent-Quatre), ManiFeste marche cette année de concert avec le Centre Pompidou, où se tient l’exposition « Un Art pauvre », courant plus connu sous son nom italien d’Arte povera. Art pauvre, la riche 4ème Symphonie (1992) de Lutoslawski, l’efflorescent Corrente II de Lindberg (idem), le millimétré Répliques de Maresz (2015-2016), créé ce soir avec en soliste le formidable harpiste Nicolas Tulliez et le Philharmonique de Radio France dirigé par le nouveau favori de la « contemporaine » Julien Leroy ? Question de définition. Maresz aussi bien que Lindberg se réclament de Lutoslawski. Cela s’entendrait-il autant si dans son ultime symphonie (il est mort un an plus tard), le grand Polonais n’avait résumé son art avec une liberté qui pulvérise les notions de classique et de moderne… au risque de faire paraître monochromes les œuvres pourtant raffinées de ses disciples ? Pas de pyrotechnie informatique dans ces trois œuvres, si ce n’est un système de capteurs collés sur la caisse de la harpe de Nicolas Tuilliez dans celle de Maresz : souvent donnée comme parent pauvre de l’orchestre, la harpe y révèle ses fastes en gros plan. Un clin d’œil à la richesse de l’Arte povera ?
François Lafon
Radio France, Auditorium, 4 juin – ManiFeste 2016, jusqu’au 2 juillet – Exposition Un Art pauvre, Centre Pompidou, Paris, du 8 juin au 29 août Photo © Centre Pompidou-DR