Jeudi 7 novembre 2024
Concerts & dépendances
samedi 26 mars 2022 à 14h07
Créée à Broadway en 1949 – gros succès ! – seulement quatre ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique, cette comédie musicale signée Rodgers & Hammerstein, par ailleurs auteurs du non moins célèbre Oklahoma (1943), s’inspire des Contes du Pacific Sud du chroniqueur James Michener. Sur une île des Nouvelles Hébrides administrée par le régime de Vichy, l’armée américaine essaie de contenir l’invasion japonaise avec le concours des Anglais, qui partagent avec les Français le contrôle de tout l’archipel, sur fond d’affrontements maritimes et aériens, romances et désillusions des expatriés et des soldats. Lié à la fibre patriotique américaine, l’ouvrage n’a pas joui d’une considération égale en Europe, au point que l’Opéra de Toulon pouvait s’enorgueillir d’en assurer la création française – d’autant plus que son adaptation cinématographique par Joshua Logan en 1958 n’avait guère laissé de souvenirs, avec son improbable couple de vedettes Rossano Brazzi et Mitzi Gaynor. Tout le contraire sur la scène toulonnaise grâce à la mise en scène du fidèle Olivier Bénézech – à qui l’Opéra doit, entre autres, Street Scene de Weill (2010), Follies de Sondheim (2013) et Wonderful Town de Bernstein (2017) – un orchestre ad hoc rompu au style léger et un chef d’orchestre, Larry Blank, dans son élément, la comédie musicale. À juste titre, le metteur en scène évite le côté « chromo » (du film) avec une esthétique plus sobre, des couleurs tamisées et un décor stylisé du plus bel effet, « plus proche du cinéma d’Humphrey Bogart que de celui d’Esther Williams ». Mais le secret de ce spectacle n’est pas tant dans la finesse d’écriture des airs de Richard Rodgers – sur un canevas très fleur bleue d’Oscar Hammerstein : le divertissement selon Broadway – que dans la troupe rassemblée pour l’occasion. L’Américain William Michals assure de son beau timbre de baryton le rôle du Français (Belge ?) Émile de Becque, tandis que Mike Schwitter, nouvelle coqueluche de Broadway, apporte profondeur et sentiment à celui du Lieutenant Joseph Cable, et que Thomas Boutilier, énergique Wreck dans Wonderful Town sur cette même scène en 2018, retrouve un personnage presque équivalent en Seabee Luther Billis – même travesti en danseuse Papou ! La palme revient à l’Écossaise Kelly Mathieson qui, forte de ses rôles mozartiens, notamment, ainsi qu’offenbachiens, apporte un charme, une élégance et une empathie suprêmes à son personnage de Nellie Forbush. Comme quoi la comédie musicale aura toujours un bel avenir, pour peu que ses interprètes en transcendent le sujet.   
        Franck Mallet
• Le 25/03/2022 à l’Opéra de Toulon ; prochaines représentations les dimanche 27 (14h30) et mardi 29 (20h).

dimanche 20 mars 2022 à 19h51
Clôture - en matinée devant un public clairsemé (le beau temps ?) - du week-end Iannis Xenakis à la Philharmonie de Paris, parallèlement à l’exposition présentée jusqu’à fin juin (voir ici) : Alax « pour trente musiciens divisés en trois ensembles » par François-Xavier Roth et Les Siècles. Après les instrumentistes mobiles de Terretektorh (en ouverture du week-end), c’est aux sommets d’un triangle que se retrouvent lesdits ensembles. Alax signifiant en grec « par échanges », nous assistons à la construction d’un édifice sonore qu’avec un peu d’imagination nous croirions voir, dans un ordre inexorable mais sans cesse remis en question alternant acier et velours. Beau travail de Roth et de ses musiciens, n’oubliant jamais qu’avec ce compositeur-architecte-mathématicien, l’œil écoute et l’oreille regarde. Association éclairante en complément (si l’on peut dire) que Xenakis et Stravinsky, dont le Concerto pour violon et la suite tirée du ballet L'Oiseau de feu (3ème mouture - 1945) complètent le programme. Deux visages du compositeur, clin d’œil à Bach et adieu à son maître Rimsky-Korsakov, mais dans les deux cas génie de la mise en scène sonore dont Roth fait ses délices, accompagnant le violon vif-argent d’Isabelle Faust ou sublimant l’envol de l’Oiseau, soulignant le contraste qu’aurait aimé Xenakis avec la "Danse infernale de Kastcheï".  
François Lafon 
Philharmonie de Paris, Grande salle Pierre Boulez, 20 mars (Photo © DR)

dimanche 20 mars 2022 à 23h54
En quelques jours, Louis Langrée, le directeur, et ses équipes de l’Opéra Comique avaient conçu un programme en faveur des enfants ukrainiens et de leurs familles, à l’initiative de l’Unicef (*) ; le théâtre parisien affichait complet avec des places à tarif unique (10€), dont la somme serait intégralement reversée à l’organisation humanitaire. Les couleurs du drapeau ukrainien flottaient déjà sur la façade, tandis qu’à 18h15 le public attendait sagement sur le parvis… avant qu’avec un peu de précipitation, il se rue sur les portes d’entrée – les places n’étant pas numérotées. Sabine Devieilhe, en habituée du lieu, donnait d’emblée le ton de ce concert de solidarité avec la mélodie ukrainienne Oy Budu ya Zhdati, accompagnée au piano par Mathieu Pordoy – par ailleurs chef de chant de l’Opéra Comique. Rejointe par Thomas Dunford (luth) et Théotime Langlois de Swarte, elle enchaînait avec un air d’Alcina de Haendel. Extraits d’opéras encore, avec une première au Comique pour le baryton Huw Rendall Montague – superbes Avant de quitter ces lieux (Faust de Gounod) et Mein Sehnen, mein Wähnen (Die Tote Stadt de Korngold), ainsi que pour la mezzo Eugénie Joneau dans Werther de Massenet. Aude Extrémo remportait un franc succès dans le célèbre Mon cœur s’ouvre à ta voix de Samson et Dalila de Saint-Saëns, tandis que la pianiste Lise de la Salle — elle aussi pour la première fois au Comique – s’emportait avec fougue dans la Ballade n° 4 de Chopin. Complices au sein de l’ensemble Jupiter, Thomas Dunford et Théotime Langlois de Swarte nous régalaient de plusieurs pièces de leur répertoire : Marin Marais, Matteis et un extraordinaire duo du Britannique John Eccles, gravé récemment pour leur album « The Mad Lover ». La mezzo Lea Desandre les rejoignait pour un air de Xerxès de Haendel, tandis qu’avec le concours de Sabine Devieilhe, elle terminait la soirée avec le duo final Pur ti miro du Couronnement de Poppée de Monteverdi. Entre-temps, le Centre Culturel l’Ambassade de l’Ukraine à Paris (avenue de Messine, www.france.mfa.gov.ua) révélait par la voix de son Attachée, Viktoriia Gulenko, que plusieurs artistes, peintres, musiciens, écrivains et intellectuels seraient présents à l’occasion d’un « Printemps Ukrainien ».      
        Franck Mallet
 
• Dimanche 20 mars, 19h à Paris (Opéra Comique) : Haendel, Gounod, Korngold, Marais, Matteis, Eccles, Brahms, Massenet, Chopin, Saint-Saëns et Monteverdi par Sabine Devieilhe, Lea Desandre, Aude Extrémo, Eugénie Joneau, Lise de la Salle, Huw Rendall Montague, Thomas Dunford, Théotime Langlois de Swarte, Mathieu Pordoy et Louis Langrée.
(*) www.unicef.fr/urgence
Nouveau décapage, à l’Athénée Louis-Jouvet, d’un classique du genre léger par Les Frivolités Parisiennes (dont c’est le dixième anniversaire - voir ici) : Là-haut d’Yves Mirande et Gustave Quinson (livret), Albert Willemetz (lyrics) et Maurice Yvain (musique), créé aux Bouffes-Parisiens il y a exactement quatre-vingt-dix-neuf ans (mars 1923) avec Maurice Chevalier, Dranem et Gabin père. Une histoire à dormir debout : le rêve d’un jouisseur qui meurt le jour de son anniversaire et se retrouve là-haut (entendez au Paradis), où il fait la connaissance de l’ange-gardien de son épouse, lequel en a à lui raconter. Imaginez la suite… On pense à Liliom filmé par Fritz Lang (en plus décoiffé), mais c’est Capra et Lubitsch qui ont inspiré le metteur en scène Pascal Neyron, via l’ouvrage de Stanley Cavell A la recherche du bonheur, Hollywood et la comédie des remariages (éditions Vrin). Des références qui expliquent en partie la fraîcheur préservée de cet archétype de l’opérette des Années folles (« opérette de boulevard », pourrait-on dire, à petits effectifs) ainsi revue par ces pas si frivoles Parisiens qui se sont fait une spécialité de ces revivals, tablant sur un travail musical et théâtral impeccable, et passés virtuoses (comme les créateurs et leurs homologues de Broadway) dans l’art d’effacer les coutures entre parlé et chanté. A la création, le populaire comique Dranem tira tellement la couverture à lui en ange-gardien nommé Frisotin que Maurice Chevalier, vexé, se désista pour la reprise. Il faut croire que l’œuvre s’y prête, car sans nuire, lui, à l’équilibre du plateau, l’excellent Richard Delestre fait un tabac lui aussi, savoureux dans ses « à la manière de » Houellebecq ou Renaud. Et comme la musique d’Yvain, lequel était passé maître dans l’art de capter l’air du temps sans abdiquer sa rigueur classique (écoutez ce finale alla Rossini), est revigorée sous la baguette de Nicolas Chesneau ! Après une guerre et une épidémie, nos aïeux en avaient bien besoin. Et nous donc…
François Lafon 
Athénée Théâtre Louis-Jouvet, jusqu’au 31 mars (Photo © Les Frivolités Parisiennes)

Reprise à l’Opéra de Paris – Bastille du Wozzeck d’Alban Berg, dans la mise en scène de William Kentridge et Luc de Wit, créée au festival de Salzbourg 2017. Formidable travail de Kentridge, plasticien multitâche, le plus impressionnant peut-être (à l’opéra) depuis sa mise en scène célèbre du Nez de Chostakovitch d’après Gogol (Aix-en-Provence - 2011), achèvement de son concept d’« animation du pauvre » (c’est lui qui le dit) consistant à filmer un dessin dans ses divers états et à détailler image par image la « danse mentale » qui en résulte. En vidéo (DVD Harmonia Mundi - voir ici), le filmage s’ajoutant à ladite « danse », on a tendance à se noyer dans la tête du pauvre soldat poussé au crime. En « vrai », les chocs sont plus ciblés, éclairs récurrents engendrant des visions qui conduiront à la violence individuelle et à la catastrophe collective. Berg termine son œuvre en 1922 : une catharsis jamais dépassée, comme le prouve l’actuel retour de la guerre en Europe. Pas plus d’actualité frontale, de transposition réaliste façon regietheater dans ce spectacle : le subliminal est tellement plus efficace, et l’enfant marionnette manipulé à vue sur son cheval de bois tellement plus impressionnant (au sens propre) ! Belle distribution autour de Johan Reuter, Wozzeck moins halluciné que Matthias Goerne à Salzbourg, mais d’autant plus émouvant, et d’Eva-Maria Westbroek, épouse-victime rappelant la grande Anja Silja dans ce rôle qu’elle a marqué, usant (trop ?) généreusement de sa faculté à passer d’un « parlé » confidentiel à un « chanté » d’une puissance phénoménale, avec une mention spéciale pour le vétéran wagnérien Falk Struckmann en Docteur délirant. Mention très spéciale pour Susanna Mälkki, qui montre - en notre époque où « chef » s’accorde enfin au féminin - son talent à marier - à la tête d’un orchestre en grande forme - le lyrisme et la cérébralité qui font le génie de Berg. 
François Lafon 

Opéra National de Paris – Bastille, jusqu’au 30 mars (Photo © Agathe Poupeney / OnP

Débuts de Leonard Bernstein-compositeur à l’Opéra de Paris  (Palais Garnier) : A Quiet Place. Une presque création aussi que cette version de chambre remodelée et réorchestrée pour grande formation de cet ultime opus scénique du maestro, d’abord  donné comme un sequel à l’opéra bouffe "de jeunesse" Trouble in Tahiti (1951), lequel se retrouvera inclus comme un flash back dans la version « définitive » jouée et enregistrée (1986 - DG) à Vienne sous la direction de Lenny himself, puis en sera exclu dans la déjà citée version de chambre due à Garth Edwin Sunderland (vice-président du Leonard Bernstein Office) en 2013 et enregistrée par Kent Nagano pour Decca. Compliqué ? Pas si simple non plus le livret de l’écrivain Stephen Wadsworth, nous jetant dans la vie d’une famille américaine en butte aux tabous, préjugés et décorticages psy des années d’après-guerre, dont les dramaturges Arthur Miller et Tennessee Williams ont entre autres fait leur miel. Un sujet rêvé en revanche pour le metteur en scène Krzysztof Warlikowski, maître dans l’art de débrouiller les écheveaux domestiques les plus enchevêtrés et de jongler avec le mélange de tragique et de dérisoire, de fines analyses et de grands sentiments que les Européens ont beau jeu de qualifier de « typiquement américain ». Un mélange que l’on retrouve dans la musique de Bernstein, mariant la polytonalité héritée de Stravinsky et la veine mélodique qui a fait son succès à Broadway, mais toujours en situation, sans complaisance ni bavardage, infirmant l’idée reçue que cette Quiet Place témoigne de la perte d’inspiration qui a gâché ses dernières années. Direction à la pointe sèche et vitaminée à la fois de Kent Nagano, élève du maître, et distribution adéquate de chanteurs-acteurs entourant le fantôme muet mais éclairant (si l'on peut dire) de la mère - ex-héroïne de Trouble in Tahiti - dont l’incinération (brûlantes images filmées) occasionne ces cathartiques retrouvailles. Inclusion warlikowskienne qui ravira les bernsteinophiles : un extrait des légendaires Young People Concerts télévisés, où le maître explique comment l’émotion vient dans la musique … à propos de la 4ème Symphonie de Tchaïkovski. 
François Lafon
Opéra National de Paris – Palais Garnier, jusqu’au 30 mars – En différé le 23 avril à  20h sur France Musique (Photo © Bernd Uhlig / OnP)

Au théâtre de l’Athénée, spectacle annuel de l’Académie de l’Opéra de Paris : Il Nerone, Il Coronazione di Poppea de Monteverdi, confié à Vincent Dumestre (direction) et Alain Françon (mise en scène). Un Couronnement de poche, inspiré de cet hypothétique Nerone (titre plus « vendeur », déjà ?) donné à Paris en 1646 par une troupe italienne, en remplacement d’un Orfeo de Rossi dont les répétitions avaient pris du retard. Un retour aux sources pour ce chef-d’œuvre dont les deux partitions originelles multiplient les variantes et dont la musique résulte en partie - comme cela se faisait à l’époque - d’un travail d’atelier supervisé par Monteverdi. Mais quelles sources donc ? Dans le cadre intime de l’Athénée, Alain Françon, dont on connait la rigueur au théâtre, gomme les grands effets, et même le mélange des genres qui a fait qualifier l'ouvrage de shakespearien. Il parle de l’« insaisissable », de la « déconcertante pureté de l’amour » qui émane de cette galerie de monstres, et exige des jeunes chanteurs de l’Académie le plus difficile : la violence immobile et la sensualité à distance. Racine plutôt que Shakespeare. Soutenus par un Poème Harmonique réduit à une dizaine d’instrumentistes – loin des versions très orchestrées alla René Jacobs – les interprètes font preuve d’une discipline vocale et d’une tenue scénique impressionnantes : formidable Néron néo-David Bowie du contre-ténor Fernando Escalona, graves sépulcraux contrastant avec la jeunesse d’Alejandro Balinas Vieites en Sénèque, Nourrices arrivistes plus pince sans rire que truculentes (la mezzo Lise Nougier et le contre-ténor Léo Fernique). Coup d’éclat au milieu des nombreuses coupures, resserrements et déplacements de scènes pour lesquels chef et metteur en scène ont travaillé main dans la main : le célèbre duo final, postérieur à Monteverdi et dont on sait qu’il n’est pas de lui, se retrouve avant l’entracte, l’ouvrage se terminant plus traditionnellement par le…. couronnement de Poppée. Une expérience à tenter, mais démontrant a contrario le génie dramatico-musical de celui ou ceux qui ont attendu la fin pour illuminer cette sombre histoire d’un ciel étoilé qui en relève les ambiguïtés. 
François Lafon 
Il Nerone, L’Incoronazione di Poppea, Théâtre de l’Athénée Louis-Jouvet, Paris, jusqu’au 12 mars – Opéra de Dijon, du 20 au 26 mars – Maison de la culture d’Amiens, 1er avril (Photo © Vincent Lappartient-Studio J'adore ce que vous faites !)

 

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