Emotion et émerveillement à Garnier, avec La Cenerentola de Rossini. Jean-Pierre Ponnelle l’avait mis en scène à Munich en 1967. Nicolas Joël, l’actuel directeur de l’Opéra National de Paris dont il fut l’élève, lui rend hommage en l’installant enfin à Garnier, avec les décors d‘origine dans un spectacle pétillant d’intelligence et admirablement réglé. Les décors, d’abord, faits de quelques toiles, comme dans le théâtre de tréteaux d’antan, dont la simplicité et le constant à propos font la magie, à l’opposé de tous les chercheurs de concepts nouveaux, dont les tics font l’académisme d’aujourd’hui. Les voix ensuite, dont Nicolas Joël se montre, si besoin, un fin connaisseur, et dont la recherche de l’équilibre dans les distributions fait mouche : Karine Deshayes (Angelina/Cendrillon) est une des meilleures sopranos rossiniennes d’aujourd’hui ; José Camarena, entendu l’année dernière à Bastille dans la Somnambule aux côté de Natalie Dessay, peut s’accaparer le qualificatif de grand ténor rossinien ; Carlos Chausson, en don Magnifico, est désopilant ; les deux sœurs Clorinda (Jeannette Fischer) et Tisbé (Anna Wall) sont loufoques sans verser dans le ridicule, et Alex Esposito est un Alidoro plus qu’honnête. Présent à Paris depuis plus de dix ans, mais peu remarqué, Riccardo Navarro (Dandini) a pourtant une présence sur scène qu’on aimerait partagée par plus de chanteurs. Tous jouent ensemble avec jubilation et ont une diction parfaite, choses trop rares pour être soulignées. Les chœurs et la direction musicale (Bruno Campanella) sont impeccables. Tout cela est très « classique », certes, mais tellement séduisant, et donne envie de voir et revoir les mises en scènes de Ponnelle. Celle de Madame Butterfly serait un beau cadeau que Nicolas Joël pourrait faire au public…
Albéric Lagier
Opéra de Paris du 26 novembre au 17 décembre Photo © Opéra de Paris
"Vadim and friends, concert anniversaire". On imagine déjà une version violon de Pavarotti and friends, avec formation à géométrie variable et bœuf final mêlant Beethoven et Stéphane Grappelli. Eh bien pas du tout ! Pour ses quarante ans, Vadim Repin et ses friends jouent deux sextuors à cordes : le 2ème de Brahms et « Souvenir de Florence » de Tchaikovski. Du sérieux, voire de l’austère. La salle Pleyel est presque pleine : Repin a son public, et parmi les friends - tous russes sauf le violoncelliste Henri Demarquette -, on trouve l’altiste vedette Yuri Bashmet. Une réunion de virtuoses, sans que personne ne tire la couverture. Au moindre solo de l’hôte, pourtant, la tension monte. Peut-être, en bis, jouera-t-il seul. Espoir perdu : le 2ème mouvement du Sextuor de Borodine, tous ensemble, et puis s’en va. Dans le programme, une photo de trois enfants sages, à Moscou en 1985 : Vadim Repin, Evgeni Kissin et Maxim Vengerov. Qui aurait parié sur le plus sage des trois ?
François Lafon
Vingt-sept donateurs privés (3000 € chacun) pour les vingt-sept pièces (lieder et intermèdes pour piano) constituant O Mensch !, la nouvelle création de Pascal Dusapin aux Bouffes du Nord. Un mécénat à l’ancienne, en somme. C’est pour le baryton autrichien Georg Nigl, créateur de ses opéras Faust et Passion, que Dusapin a imaginé cette promenade dans l’univers de Nietzsche. C’est surtout, comme il le reconnaît lui-même, pour faire « son » Nietzsche. Comme Nigl est aussi bon acteur que bon chanteur, il l’a mis en scène, agrémentant le spectacle de vidéos imaginatives du chercheur en nouvelles technologies Thierry Coduy, et laissant dans l’ombre le piano tenu par l’excellente Vanessa Wagner. Question rebattue : le lied, genre allusif, s’accommode-t-il d’un jeu théâtral sans risquer la paraphrase ? La musique du cycle, à la fois ascétique et truffée de références (Schubert, Mahler, Wagner et les autres, même Monteverdi), ne se suffisait-elle pas à elle-même ? Une façon, en tout cas, d’éviter que les généreux donateurs ne regrettent d’avoir investi dans la musique contemporaine, et pas la plus facile.
François Lafon
Bouffes du Nord, Paris, les 18 et 19 novembre.
En photo : Georg Nigl
Trente ans que La Force du destin n’avait pas été donné à l’Opéra de Paris. Et pourtant, en voyant la nouvelle mise en scène, signée Jean-Claude Auvray, on a l’impression de retrouver l’ancienne, qui à l’époque avait déjà paru désuète. L’œuvre est impossible, aussi, et pas du meilleur Verdi : livret méloissime, invraisemblances à la chaîne, psychologie de carton-pâte, musique fourre-tout, où les flonflons charrient des pépites. Au moins, il y a trente ans, y avait-il des voix (Placido Domingo, Martina Arroyo, Gabriel Bacquier) capables de rendre cette hystérie transcendée. Ce soir, personne ne démérite, mais aucun n’entraîne les autres, surtout pas le ténor, remplaçant la locomotive Marcelo Alvarez, qui lui, peut-être... Chœur impeccable, orchestre irréprochable, dirigé par un Philippe Jordan plus italien qu’on ne l’aurait espéré. Après Faust, la maison-Opéra continue son entreprise de rétropédalage esthétique. Force du destin ou nostalgie assumée ?
François Lafon
Opéra National de Paris Bastille, les 17, 20, 23, 26, 29 novembre, 2, 5, 8, 11, 15, 17 décembre. Diffusion en direct dans des salles de cinéma le 8 décembre et sur France Musique le 10.
Photo © Ch. Leiber
A l’Oratoire du Louvre, dans l’excellente série des concerts Philippe Maillard, Philippe Herreweghe dirige le Collegium Vocale de Gand, qu’il a créé il y a quarante ans. Au programme, deux motets de Roland de Lassus et l’Office des défunts de Tomas Luis de Victoria. Musiques austères et magnifiques : l’apogée de la polyphonie Renaissance pour exalter la délivrance par la mort. Dans ce temple calviniste, ancienne église où ont été chantées les messes d’enterrement de Richelieu et d’Anne d’Autriche, les treize solistes sont comme désincarnés, invisibles presque, présents seulement par leurs voix, incroyablement précises et expressives, qui habitent l’espace plus qu’elles ne le remplissent. A voir Herreweghe retrouver son premier métier de chef de chœur, avec sa gestique bien à lui, on se revoit à Saint-Etienne-du-Mont, le 15 mars 1980. Une mini-baguette à la main (un crayon ?), le jeune Belge réinventait la Passion selon Saint Matthieu, comme William Christie et Jean-Marie Villégier réinventeront l’Atys de Lully, sept ans plus tard. Moments d’histoire. Ce soir, public jeune, pour qui la révolution baroque n’a pas été un combat. Herreweghe, lui, continue la lutte.
François Lafon
Photo © Olivier Debien
La Belle Meunière, premier volet de la trilogie Schubert par Matthias Goerne et Christoph Eschenbach à Pleyel (Voyage d’hiver en février, Le Chant du cygne en mai). Pas facile de créer l’intimité dans ce grand hall blanc. Goerne, qui a longtemps chanté les yeux baissés et les mains à hauteur de plastron, embrasse la salle du regard et transforme le creux du piano en scène imaginaire. Il occupe l’espace, comme savait le faire Dietrich Fischer-Dieskau. Même attitude vocale : rage, éclats, déploration, et ces merveilleux moments suspendus dont il a le secret. Le piano d’Eschenbach tonne et murmure, arrête le temps avec un art égal. La Belle Meunière dure un quart d’heure de plus que d’habitude : on irait, avec eux, jusqu’au bout de la nuit.
François Lafon
Photo © Marco Borggreve
Soirée d’exception hier à la Salle Gaveau, avec un programme fait de grands classiques, dont deux sommets du piano romantique : les Variations Diabelli de Beethoven et la Fantaisie D 760 dite Wanderer de Schubert. Deux œuvres de commande : la contrainte a joué un rôle fertile…Les premières, on le sait, furent commandées par Diabelli à partir d’une pauvre valse de sa composition, pour une publication au bénéfice des victimes des guerres napoléoniennes. Diabelli désespérait de recevoir une variation de Beethoven quand, bien après les autres compositeurs sollicités – ils étaient 50 - il en livra 33 en 1823. 33 pièces bijou de force descriptive, autant de personnages, peut-être ceux morts sur le champ de bataille, et celles et ceux parmi leurs proches. La Fantaisie de Schubert quant à elle fut commandée en 1822 par un riche aristocrate viennois, et ce fut la seule partition de Schubert à être publiée de son vivant par... Diabelli. Les parallèles entre les deux œuvres sont nombreux – la Fantaisie joue sur des variations complexes, dans et à partir de son deuxième mouvement lent. Mais pour le reste, tout les sépare, la construction, l’univers sonore, sauf encore… la virtuosité. C’est au diable de jouer cette pacotille, disait de son œuvre Schubert, lui-même incapable de la jouer. C’est en privilégiant la virtuosité que Laurent Cabasso, s’en tire, au risque de ne pas toujours s’intéresser aux élans poétiques, méditatifs ou jubilatoires de ces œuvres. Mais quel programme !... avec en entrée la très romantique Sonate K 310 de Mozart, et en encore demandés vivement par le public la Variation sur la valse de Diabelli par Schubert.. . et – de mémoire- le 3ème prélude du 2ème Livre du Clavier bien tempéré de Bach. Un moment généreux, donc, au profit des actions de l’Association Coline en Ré, au profit d’enfants hospitalisés à Kaboul et à Phnom-Penh.
Albéric Lagier
20h30 : face à face, un piano classique et un piano préparé. Volant de l’un à l’autre sur un tabouret tournant, David Greilsammer joue alternativement Scarlatti et Cage, « de véritables visionnaires, en avance sur leur temps, pour lesquels la sonate n’était pas une forme rigide et pesante, mais plutôt un espace de création et d’expérimentation ». Nous sommes à la Gaîté lyrique, temple des « révolutions numériques », où Greilsammer et l’Orchestre de Chambre de Genève commencent leur premier week-end baroque et contemporain (il y en aura trois jusqu’à fin 2012). 22h15 : Greilsammer, sur son piano préparé, lance le concert Phil Glass. Au programme : le Quatuor « Mishima » (tiré de la bande sonore du film de Paul Schrader), enserré dans une création sonore et visuelle de Radiomentale (les DJ Jean-Yves Leloup et Eric Pajot). L’ensemble fleure bon ses années 80, mais le public est plus jeune et plus nombreux que celui du concert précédent, et tout aussi attentif. Le week-end, où l’on entend jusqu’à dimanche Vivaldi et Crumb, Denis Schuler et Rameau, Leclair et Berio, se veut emblématique de « ce qu’il faut faire pour renouer le lien entre passé et présent ». Greilsammer, Frégoli musical, capable de libertés borderline avec les partitions mais doué comme personne pour leur donner un coup de jeune, est l’homme de la situation. Des friandises pour jeunes bobos dans un espace clinique (blanc, noir, tubulures, seul le vieux foyer Napoléon III a subsisté) conçu tout exprès ? Plutôt un pli à prendre, peut-être irréversible.
François Lafon
8 concerts et un atelier animé par David Greilsammer, jusqu’à dimanche 6 novembre. www.gaité-lyrique.net
Le Huron, sur un livret de Marmontel d’après L’Ingénu de Voltaire, est le premier opéra-comique parisien de Grétry, créé en 1768. Venu du Canada et débarqué sur les côtes bretonnes, ce Huron se révèle être le neveu de notabilités du lieu. Né libre, il se trouve confronté à ce qui est en place, à ce qu’on attend de lui. Les violentes attaques de l’original de Voltaire contre la société et l’Eglise ont été gommées, mais subsistent des traces du mythe de bon sauvage. La conduite héroïque du « Huron » devenu Français contre les Anglais lui vaudra finalement la main de la belle Mlle de Saint-Yves, auparavant promise à un autre. Ressusciter cette œuvre mêlant le chanté au parlé n’est pas facile, des choses très sérieuses étant évoquées avec légèreté. Pour ces représentations, l’action a été transposée en 1968, exactement deux siècles plus tard, heureusement sans forcer le trait, sans tomber dans la satire. L’orchestre (sur scène) a été réduit à sept instrumentistes, remarquables de discipline et de précision. « Le compositeur s’est élevé sans conteste au premier rang », écrivit Melchior Grimm, célèbre critique musical de l'époque, à propos du Huron et du genre opéra-comique en général. A l’issue du spectacle de La Compagnie de Quat’Sous et du Concert Latin, mené avec vaillance par sept chanteurs-acteurs, on était tenté de partager ce point de vue, malgré une connaissance regrettablement limitée de ce type de répertoire.
Marc Vignal
Mise en scène : Henri Dalem Direction Musicale : Julien Dubruque
1er, 2 et 3 novembre : Théâtre Adyar, Paris ; 6 novembre : Théâtre J. Brel, Champs-sur-Marne