Vendredi 26 avril 2024
Concerts & dépendances
A la Philharmonie de Paris, Esa-Pekka Salonen place l’Orchestre de Paris sous le signe de la féérie. C’est plutôt sous celui du souvenir que débute le concert dédié aux trois disparus du week-end pascal (voir ici) avec une Pavane pour une infante défunte infirmant plus que jamais les auto-reproches de Ravel en pointant « l’influence de Chabrier et la forme assez pauvre » (l’œuvre sera un de ses plus gros succès, pas loin du Boléro). Hiatus savamment orchestré avec la « version de concert » (c’est à dire raccourcie du dernier tiers) du Mandarin merveilleux de Bartok. Rien d’une féérie chinoise dans ce ballet mettant en scène des malfrats, une prostituée et un mandarin (quand même) qui ne meurt qu’une fois la jouissance venue, le tout au son d’une musique « urbaine » aussi évocatrice que complexe, troisième sommet d’un triangle déjà occupé par Le Sacre du printemps (Stravinsky) et Amériques (Varèse), témoins d’un entre-deux guerres qui n’annonçait rien de doux et dont Salonen s’est fait une spécialité. Formidable travail de l’Orchestre et direction au cordeau pour ce brûlot dont Bartok disait « Si ça marche, ce sera une musique infernale » … et qui fit un scandale digne de celui du Sacre. Hommage au « prédécesseur » Berlioz après l’entracte avec la Symphonie fantastique, œuvre fétiche de l’Orchestre et reflet, elle aussi, d’une époque troublée (1830). De Salonen, on attendait une mise à nu des rouages de ce bad trip symphonique, aussi loin de la tradition maison que du « comme au premier jour » d’un John Eliot Gardiner ou d’un François-Xavier Roth. Est-ce la richesse sonore de l’Orchestre ajoutée à la tradition (encore elle) ? L’édifice est impressionnant mais en léger déficit de paradis, fussent-il artificiels. Après Le Mandarin merveilleux, la « descente » ne pouvait-elle être que frustrante ? 
François Lafon  

Philharmonie de Paris, Grande Salle Pierre Boulez, 21 avril - En différé sur Radio Classique le 8 mai à 21h (Photo © Annick Ramp)

A l’Athénée Louis-Jouvet : Eurydice (une expérience du noir), opéra pour soprano, piano et électronique, musique de Dmitri Kourliandski, poème de Nastya Rodionova. On ne peut dire « sur un poème de », puisque le principe de ce énième ouvrage sur le sujet (depuis l’Euridice de Jacopo Peri, 1600) est justement la dissociation, théâtre d’ombres où l’épouse d’Orphée erre dans la ville, entourée de sons aléatoires venus d’un monde auquel elle n’appartient plus. Pour corser le tout et y mettre un peu de théâtre, le metteur en scène Antoine Gindt recrée la dissociation fondatrice du mythe en invitant Orphée, aussi muet que son épouse est loquace, invisible pour elle comme elle l’est pour lui, et interprété par Dominique Mercy, alter ego de Pina Bausch dont il a créé en 1975 le ballet Orphée et Eurydice (version Gluck), depuis entré au répertoire de l’Opéra de Paris. Sur un plateau tendu d’un noir creusé encore par de parcimonieuses barres lumineuses, Madame Orphée (l’excellente Jeanne Crousaud) manie un récitatif plutôt inventif et dit quelques belles choses, tandis que Monsieur Orphée mène une vie de tous les jours trouée d’abandons révélateurs, drame de l’incommunicabilité traversé de « hasards réfléchis ». La musique (« système de notation plein de trous : pas de portée ni de clés ») étant savamment insidieuse, la science du geste de Dominique Mercy étant comme toujours imparable (un bras devant les yeux et tout est dit), on se dit que cet Orphée à rebours n’est peut-être pas l’Orphée de trop. Le spectacle, retardé d’une année pour cause de pandémie, clôt les vingt-huit saisons de programmation de l’ex-directeur Patrice Martinet. Radical, comme toujours. 
François Lafon 

Athénée Théâtre Louis-Jouvet, jusqu'au 15 avril (Photo © Xavier Lambours)

 

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