Lancement avec L’Or du Rhin, de la saison tétralogique à l’Opéra Bastille - huit cycles en kit jusqu’en juin – pour le bicentenaire de la naissance de Wagner. Très peu des changements annoncés dans la mise en scène manga-BD de Günther Krämer, créée en 2010 : c’est après, avec La Walkyrie, que le bateau a commencé à tanguer. L’image finale résume le propos et annonce les dérives : pendant que les dieux casqués gravissent l’escalier doré qui mène au Walhalla, arrive une équipe de gymnastes en shorts et débardeurs (Berlin, 1936?) portant des lettres géantes formant le mot Germania. C’est de la fosse que vient le changement : Philippe Jordan, lent et prudent en 2010, de plus en plus assuré jusqu’au Crépuscule des dieux un an plus tard, promet aujourd’hui une Tétralogie grand format : phrasés affinés, équilibre avec les voix, palette orchestrale démultipliée. Ses débuts à Bayreuth dans Parsifal, l’été dernier, ont apparemment porté leurs fruits. Plateau vocal plus homogène aussi, avec un nouveau Wotan - Thomas Johannes Meyer – vocalement assuré et très naturel en maffieux de série TV. Signe des temps : en attendant que les metteurs en scène – Krämer le premier – rechargent leurs accus tétralogiques, c’est aux musiciens de reprendre la main.
François Lafon
Opéra de Paris Bastille, jusqu’au 12 février, et le 18 juin Photo © DR
Quatre représentations, au Châtelet, de Street Scene, « opéra américain » de Kurt Weill (1947). Ce n’est pas tout à fait une première parisienne : en décembre 2010, l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris en a donné une version de chambre, accompagnée au piano, où les jeunes chanteurs s’essayaient au style Broadway amélioré instauré par Weill exilé aux Etats-Unis, et dont se sont inspirés, entre autres, Leonard Bernstein et Stephen Sondheim. Cette fois, c’est l’Opera Group, une compagnie britannique pratiquant le lyrique décalé, qui officie, mais s’en tient à la tradition Broadway la plus fatiguée. Traitée façon opérette, sonorisée comme un show-télé, ce qui tue les voix et noie l’orchestre, cette peinture du petit peuple entassé dans un immeuble vétuste de Manhattan perd une grande partie de la charge contestataire qu’y a mis le compositeur de L’Opéra de quat’sous, et remise sa musique, pourtant formidablement écrite, au rang d’un à la manière de Gershwin, Irving Berlin et quelques autres. A voir la version modeste de l’Atelier Lyrique, on imaginait le grand spectacle que l’œuvre pouvait susciter. Ce n’est pas ce spectacle que nous voyons aujourd’hui.
François Lafon
Châtelet, Paris, 25, 27, 29, 31 janvier Photo © DR
Théâtre de la cruauté, au Palais Garnier, avec la reprise du Nain de Zemlinsky et de L’Enfant et les sortilèges de Ravel, mis en scène par les Britanniques Richard Jones et Antony McDonald (1998). Grand écart esthétique, stylistique et musical, « conte tragique » vs « fantaisie lyrique », mais trouble parenté entre la mortelle histoire (inspirée d’Oscar Wilde) du nain découvrant sa laideur dans le regard de la petite infante dont il est le cadeau d’anniversaire, et celle, apparemment plus douce, de l’enfant (livret de Colette) faisant l’apprentissage de la vie au cours d’un cauchemar se terminant en rêve bleu. Etrange parallélisme aussi, pointé sur le rideau de scène par un collage très années 1920, entre Zemlinsky, disgracié comme son personnage et poursuivi par une sombre fatalité, et Ravel, à jamais mystérieux sous ses dehors d’homme-enfant tiré à quatre épingles. Air de famille enfin entre la marionnette à l’effigie de Zemlinsky manipulée par le ténor qui lui prête sa voix, et les habitants du jardin enchanté de Ravel, lucioles et écureuils aux allures de rescapés de la Grande Guerre. Silence respectueux pendant Le Nain, rires plus ou moins nerveux pendant L’Enfant, applaudissements libératoires à l’adresse des nombreux et excellents interprètes : la légèreté, souvent, est plus insoutenable que la mise au jour des tréfonds de l’être.
François Lafon
Opéra de Paris Garnier, jusqu’au 13 février Photo © DR
Presse nombreuse, atmosphère de première à l’Opéra Bastille pour la reprise de La Khovantchina de Moussorgski dans la mise en scène pourtant peu mémorable d’Andrei Serban (2001). Beau plateau (Larissa Diadkova, Vladimir Galouzine, Orlin Anastassov), chœur valeureux (c’est lui le personnage principal), direction sans génie mais orthodoxe (si l’on peut dire) de Michail Jurowski, père de Vladimir et Dmitri, chefs eux aussi. Le spectacle n’a pour lui que de chercher à clarifier l’intrigue – en gros l’ouverture à l’ouest de la Russie, sous Pierre le Grand, par l’élimination des féodaux dissidents et des intégristes religieux. Mais qu’on en saisisse ou non les détails, ce monument imparfait, inachevé – donné ici dans la scrupuleuse mise au propre de Chostakovitch – est un champ de mines moins que jamais désamorcées : nationalisme, fondamentalisme, communautarisme, conspirationnisme. La dernière scène, où l’on voit les Vieux Croyants s’immoler par le feu, est d’autant plus dérangeante que la musique en est céleste. « Les personnages ne sont pas des nihilistes ni des partisans du chaos. Ils cherchent tous le bien et le salut de leur pays » note le metteur en scène dans sa déclaration d’intentions. C’est bien là le plus effrayant.
François Lafon
Opéra de Paris Bastille, jusqu'au 9 février. En direct sur France Musique le 9 février. Photo © Opéra de Paris
Voyage d’hiver au féminin à l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille. Un tandem étonnant que la jeune mezzo Janina Baechle et la légende du piano Elisabeth Leonskaja pour raconter l’histoire du désespéré schubertien. La première, voix d’opéra au timbre opulent, ne tente pas de faire croire que le cycle n’a plus de secrets pour elle. La seconde débute dans l’œuvre : toucher raffiné, musicalité éprouvée, mais pas encore de vision d’ensemble. Le duo fonctionne, mais pas jusqu’à la liberté, l’abandon qui font les Voyages d’hiver mémorables. Salle bondée, toux bruyantes, mais attention soutenue. Convergences, la saison de concerts et rencontres organisée autour de la programmation lyrique, a son public, comme l’Atelier d’art lyrique, Opéra-école souvent plus aventureux que l’autre, a le sien. C’est dans ce cadre que la basse Franz Josef Selig a donné un somptueux récital en novembre (voir ici). Le pianiste François-Frédéric Guy, la contralto Marie-Nicole Lemieux, une Belle Maguelone de Brahms avec le baryton Roman Trekel et la comédienne Marthe Keller sont annoncés. En prenant les chemins de traverse, il arrive qu’on voie mieux le paysage.
François Lafon
Opéra de Paris Bastille, Amphithéâtre, les 14 et 18 janvier Photo © DR
Lionel Bringuier, le chef qui monte, Gautier Capuçon, Eric Tanguy, programme de musique française : soirée attrayante, parfois étonnante, pour le concert de rentrée 2013 de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. La surprise est venue du concerto pour violoncelle en la mineur de Saint-Saëns, de forme originale. La conception intimiste qu’en a Gautier Capuçon est tout au bénéfice de l’ouvrage, et lorsque Lionel Bringuier et l’orchestre s’y rallient, comme dans sa deuxième section, en l’occurrence très légèrement dansante, aux limites du silence, on vit un moment d‘exception. Eclipse d’Eric Tanguy (1999) n’était pas une création mondiale : depuis sa première audition aux Flâneries musicales de Reims, elle a été donnée, en particulier, en octobre dernier dans la nouvelle salle de concert d’Helsinki. Partition à la fois flamboyante et « d’une trame architecturale rigoureuse », elle justifie amplement sa durée de vingt-trois minutes, une de celles dont on « entend » qu’elle descend de « grands ancêtres » sans toujours percevoir exactement qui ils sont. Une partie du mystère demeure, et c’est très bien ainsi. Les symphonies de Roussel, notamment la Troisième, se font rares, ce qu’on ne saurait dire de La Valse de Ravel : leur succession est à sa manière source d’équilibre. Lionel Bringuier a largement répondu aux attentes, et sa complicité avec l’orchestre semble bien établie.
Marc Vignal
Salle Pleyel, 11 janvier 2013
Drôle de concert à Pleyel, où le violoniste Gil Shaham poursuit avec l’Orchestre de Paris son cycle « Concertos des années 1930 ». Il joue cette fois le Concerto de Stravinsky (1931), mélange de sport violonistique extrême et de raffinement néo-classique. Au pupitre : Nicola Luisotti, directeur du San Carlo de Naples et de l’Opéra de San Francisco. Concours de sourires - éclatant chez le chef, plus ambigu pour le soliste – et d’expressivité. Gestique lyrique de Luisotti, démonstrative et analytique de Shaham, qui transmet à l’orchestre la souplesse, la variété de son jeu. Trois bis, de Bach à l’Américain Bolcom, achèvent de rendre la soirée inoubliable. Luisotti reprend la main - et avec une certaine poigne -, dans la 3ème Symphonie de Prokofiev, recyclage orchestral de l’opéra L’Ange de feu considéré à l’époque (1929) comme injouable. L’Orchestre y conserve quelque chose de la pointe sèche stravinskienne : éternelle rivalité des deux compositeurs. Mais c’est dans l’ouverture de La Force du destin (début de l’année Verdi) et le Capriccio italien de Tchaikovski que le chef se déchaîne. Eternelle rivalité, cette fois, de la grande musique et de la grosse musique.
François Lafon
Salle Pleyel, Paris, 9 et 10 janvier