Jeudi 7 novembre 2024
Concerts & dépendances
A l’Opéra de Paris – Palais Garnier : Only the sound remains de Kaija Saariaho mis en scène par Peter Sellars, créé en 2016 à Amsterdam, coproduit par Madrid, Toronto et Helsinki. Un opéra ? Pas vraiment. Depuis L’Amour de loin, son premier ouvrage lyrique (2000), la compositrice explore des voies extrêmes, et a trouvé en Sellars le traducteur de ses rêves de « théâtre intérieur ». Sous ce titre déroutant voire provocant, deux nôs traduits en anglais par Ezra Pound, présentant les faces sombre et lumineuse d’un monde entre rêve et réalité. Dans Tsunemasa (Toujours fort), le spectre d’un guerrier-musicien mort au combat demande au prêtre qui l’invoque de le laisser rejoindre l’ombre ; dans Hagoromo (Manteau de plumes), un ange danse pour récupérer sa robe de plumes tombées aux mains d’un pêcheur, et se perd dans les brumes du mont Fuji. A propos décanté, effectif léger : baryton, contre-ténor, danseuse, quatuor vocal, quatuor à cordes, flûte, percussion et kantele (instrument à cordes pincées finlandais évoquant le koto japonais), le tout numériquement amélioré. « La silhouette était là et est partie, seul reste le son ténu (only the thin sound remains) », chante le revenant de de Tsunemasa. A histoire de spectres, musique spectrale, n’ose-t-on ajouter, principe compositionnel auquel Saariaho a été formée et dont sa musique porte des traces : parfaite adéquation des duos d’hommes et d’ombres dont Sellars a le secret avec ces harmonies entre ciel et terre, souvent magnifiques, instaurant un temps suspendu propice à la contemplation … ou à l’ennui pour les Occidentaux trop avides d’action. Une atmosphère hypnotique entretenue par les interprètes : Davone Tines, étonnant baryton-performer jouant les intercesseurs entre les mondes d’ici et d’ailleurs, Philippe Jaroussky, spectre et ange … à la voix d’ange stratosphérisée par le numérique, les excellents Quatuor Meta4 et Theater of Voices dirigés par Ernest Martinez Izquierdo. 
François Lafon 

En différé sur France Musique le 9 mai à 20h (Photo © Elisa Haberer/OnP)

dimanche 21 janvier 2018 à 20h34
Longtemps relégué dans l’ombre de Mahler et Schoenberg, Zemlinsky connaît une lente renaissance depuis la redécouverte de sa Tragédie florentine par la Biennale de Venise, en 1980, puis les reprises d’autres ouvrages lyriques en Allemagne. Si sa Symphonie lyrique ainsi que Une tragédie florentine et Le nain, deux de ses opéras les plus fameux, sont souvent à l’affiche au sein d’un corpus de huit opéras achevés et de neuf autres inachevés, il est plus rare de pouvoir apprécier son théâtre, en particulier en France. Lyon, qui avait déjà montré Une tragédie florentine (2007, 2012) et Le nain (2012) se distingue de nouveau avec la création française du Cercle de craie, composé en 1931. Une décennie après l’orchestre flamboyant et éruptif de la Symphonie lyrique, l’écriture implose : plus acérée, elle reflète la personnalité tumultueuse de son auteur à la croisée d’une époque – les années trente ! – comme à celle de son art, qui mêle composition, direction d’orchestre et de maisons d’opéra – Volksoper de Vienne, de 1904 à 1911, puis Kroll Oper de Berlin, à partir de 1927. Introduit par un saxophone solo équivoque, rejoint plus tard au sein de l’orchestre par un banjo, une guitare et une mandoline, Le Cercle de craie s’éloigne du Strauss de Salomé pour rivaliser avec un orchestre d’esprit populo, voire cabaret et la voix, de style parlé-chanté, du Weill de Mahagonny (dont Zemlinsky dirigea la première berlinoise) et des 7 Péchés capitaux – créés la même année que Le Cercle. Sur un texte du poète allemand Klabund, inspiré d’une pièce chinoise du XIVème siècle, l’opéra cède à un Orient non pas de pacotille, mais investi d’idées nouvelles, où le christianisme se frotte aux principes taoïste sur une trame ouvertement sociale qui, comme chez Brecht, dénonce la corruption par l’argent, l’immoralité, etc. 

Une jeune fille dont le père s’est suicidé est vendue à une maison de thé, lieu de prostitution. Rachetée par un mandarin, elle devient sa deuxième épouse et lui donne un enfant. Jalouse, la première épouse empoisonne son mari et s’approprie l’enfant pour profiter de l’héritage, puis soudoie un magistrat qui condamne à mort la jeune fille pour vol d’enfant et assassinat. Cette dernière ne doit son salut qu’à un coup de théâtre, car l’homme qui succède à l’empereur le jour de sa condamnation n’est autre que celui qu’elle avait rencontré brièvement comme jeune prostituée. Épris de justice, celui-ci fait éclater la vérité… et l’épouse.
 
Richard Brunel, qui met en scène (à Lyon, Der Jasager de Weill et Dans la colonie pénitentiaire de Glass), a imaginé un décor et une scénographie « assez atemporels » et plutôt bien venus, qui n’occultent en rien une partition déjà très expressive par elle-même – même si parfois il maîtrise avec plus de difficultés l’espace lorsqu’il y ajoute pléthore de figurants. Dirigé avec entrain par le chef d’orchestre Lothar Koenigs, le théâtre lyrique de Zemlinsky est le grand triomphateur de la soirée, qui ne s’interdit ni la parodie – la marche mahlérienne du sixième tableau et la chinoiserie « à la Turandot » du duo des coolies lors du procès –, ni les bigarrures d’une orchestration toujours renouvelée – à l’image des tenues chamarrées des prostituées ! Plus encore, ce sont les chanteurs, auxquels le compositeur a confié les plus beaux atours qui brillent : la soprano Ilse Eeren (rôle principal de la jeune fille Haitang) déjà entendue à Lyon dans Janacek, Eötvös et Honegger, qui apporte une chaleur touchante à son personnage jusqu’au duo final avec le ténor Stephan Rügamer (le Prince Pao), le baryton-basse Martin Winkler, très en verve en Mr Ma, le mandarin, sans oublier la mezzo-soprano Nicola Beller Carbone (première épouse), incarnation du mal dans un esprit très « Cruella ».               
Franck Mallet
 
Samedi 20 janvier, Opéra, Lyon 
Prochaines représentations : Opéra, Lyon, 22, 24, 26, 28 et 30 janvier, 1er février
Diffusion sur France Musique, le 4 février, 20 h.
(photo © Jean-Louis Fernandez ; à gauche Doris Lamprecht, à droite Ilse Eeren)

samedi 20 janvier 2018 à 00h36
8ème Biennale du Quatuor à cordes à la Cité de la Musique – Philharmonie de Paris : onze jours de concerts, dix-huit formations, master-classes d’Alfred Brendel, ateliers pour juniors, créations françaises et mondiales (dont une de James Dillon). Thème de l’année : Vienne. Ce soir 19 janvier : Haydn, Webern, Brahms par le Quatuor Brentano (Amphithéâtre du Musée), Beethoven par le Quatuor Ebène (Salle des concerts). Américains vs Français, ou plutôt continuité dans la diversité. Irréprochablement classiques - jeu millimétré allant rarement jusqu’à la surchauffe -, les Brentano, donnent avec le 2ème des six Quatuors op.64 le la de la perfection haydnienne. Un point de non-retour débouchant sur un autre : les six brévissimes Bagatelles (référence à Beethoven) de Webern. Pour finir, le 1er Quatuor de Brahms, essai de libération du modèle beethovénien, suivi, en bis, d’un clin d’œil montéverdien : le madrigal Lasciatemi morire. Une préparation toute trouvée au triplé Beethoven des Ebène, prélude à une intégrale que ces trois garçons et une fille (configuration actuelle) que l’on a entendu classiquer, jazzer et même popper préparent pour leurs vingt ans d’existence (2019-2020). Salle comble, public de fans chauffé par un Quatuor op. 18 n° 2 sur-vitaminé, hommage en même temps que premiers coups portés à l’idéal haydno-mozartien, conquis par un Quatuor op. 74 « Les Harpes » aux surprises soulignées mais pas trop, enflammé par un op. 59, 2ème des « Razoumovski », où le génial « Molto adagio » « Avec beaucoup de sentiments » est réussi comme rarement, où le thème populaire russe suggéré par le commanditaire et devenu fugue à quatre parties donne lieu à une furia stéréophonique avant la lettre. Standing ovation. Et dire qu’il y a vingt ans, on tenait pour moribond ce genre roi de la « musique pure » !
François Lafon

Biennale de quatuors à cordes, Cité de la Musique, Philharmonie de Paris, jusqu’au 21 janvier
(Photo : Quatuor Ebène © Julien Mignot)

A l’Opéra de Paris - Palais Garnier : Jephtha de Haendel mis en scène par Claus Guth, coproduit avec l’Opéra d’Amsterdam. Un oratorio à l’intrigue forte en drame, proche de celle d’Idomenée (Jephté, soldat et Juge d’Israël, promet à Yahvé, en cas de victoire, de lui sacrifier la première personne qu’il verra. Catastrophe : c’est sa propre fille qui se présente). L’Opéra de Stuttgart en avait déjà donné une version scénique au Palais Garnier en 1959. A Strasbourg en 2009, Jean-Marie Villégier s’y est essayé. Un loup solitaire capable de la plus grande violence pour revendiquer sa foi : sans céder aux amalgames faciles (ni burqa ni Kalachnikov), Guth déplace la fable dans un ici et maintenant suggéré. Qu’y gagne l’œuvre, fresque puissante aux chœurs imposants, dernier oratorio de Haendel au bord de la cécité ? Pas grand-chose jusqu’à l’entracte, où se succèdent tableaux (pas très) vivants et actions redondantes rythmées par des parenthèses électroniques formant hiatus avec la musique, au milieu des lettres mouvantes « It must be so » (Il doit en être ainsi), premiers mots du livret, ordre inéluctable dont découle toute l’histoire. A partir de la tragique reconnaissance, nous sommes au théâtre, jusqu’à ce final étonnant où, à l’encontre du récit biblique, un ange vient délivrer Jephtha de son serment à condition que sa fille se fasse religieuse, délire à prendre au pied de la lettre selon Guth, qui nous montre le père « comme si le sang de la vie l’avait quitté » et la fille éventrant un oreiller sur son lit de couvent-hôpital. Au rideau final : quelques huées pour le metteur en scène (qui continue de payer sa récente Bohème spatiale à l’Opéra Bastille – voir ici), triomphe en revanche pour William Christie et Les Arts Florissants (quel chœur !) et pour un plateau de grand luxe, où Marie-Nicole Lemieux et Philippe Sly jouent les guest stars, où les contre-ténors Tim Mead et Valer Sabadus rivalisent de prouesses pyrotechniques, et où Ian Bostridge et Katherine Watson donnent chair et âme au très freudien duo père-fille. 
François Lafon

Opéra National de Paris – Palais Garnier jusqu’au 30 janvier. En différé sur France Musique le 28 janvier à 20h
(Photo © Monika Rittershaus/OnP)

 

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