En alternance au théâtre de l’Athénée :
Pelléas et Mélisande et
Powder her Face, venus du Nouvel Opéra de Fribourg et mis en scène par Julien Chavaz. Debussy vs Thomas Adès par la troupe sans complexes à laquelle nous devons
in loco un sarcastique
Moscou-Paradis (Chostakovitch – voir
ici) et une acidulée
Importance d’être Constant (Gerald Barry d’après Oscar Wilde - voir
là) ? Pas vraiment car si ce «
Poudrez ce visage » (ou réduisez-le en poudre) est bien le premier ouvrage lyrique (1995) du futur compositeur de
La Tempête (d’après Shakespeare) et de
L’Ange exterminateur (d’après Luis Bunuel - voir
là), c’est, avec Pelléas, à un « théâtre musical » d’après la pièce de Maurice Maeterlinck que nous sommes conviés, Debussy n’apparaissant que sous forme de citations sporadiques dans une partition omniprésente et multi-directionnelle de l’Helvéto-Britannique Nicholas Stücklin. Dans les deux spectacles c’est cependant la même question qui se pose : jusqu’où peut-on aller dans la mise en pièce(s) du genre opéra ? Exotisme, minimalisme, onirisme et psychédélisme sont, selon Stücklin, Chavaz et sa collaboratrice Nicole Morel les maîtres-mots de ce
Pelléas pour deux chanteurs, deux comédiens, un danseur et un claviériste, bouclé en une heure et vingt minutes et suivant la trame de la pièce, mais dans une atmosphère comico-cauchemardesque, où dans et sur les bords d’une piscine sans eau, une naïade aux faux-airs d’Arielle Dombasle subit la loi de créatures mi-chair mi-poisson et vivra un amour «
accompli sans un mot ». «
Qui es-tu Pelléas ? » se demandent les auteurs. On n’aura pas de réponse : a-t-on envie de savoir pourquoi la Joconde sourit ? On aura en revanche reçu en pleine face la scène où Yniold (un barbu plus enfant que nature) est questionné jusqu’à la torture par Golaud (une femme). Pas de réponse non plus : «
Que font-ils ? » – « Ils ne font rien ». En pleine face aussi, et tout aussi radical sous des aspects "opéra anglais" hérité de Britten l’ouvrage d’Adès, portrait lyrique à la Francis Bacon de la duchesse d’Argyll, l’aristocrate aux quatre-vingt-huit amants, contre-héroïne d’un scandale sexuel comme la
gentry britannique en aura peu connu (et pourtant…) et érigée en Traviata ou en Lulu moderne à travers cet ouvrage « de chambre » (et pour cause…) où sont convoqués le jazz et le tango, Berg et Schönberg, Bernstein et Stravinsky, le cabaret berlinois et la comédie musicale façon Broadway. A moins que cette mise à mort ne consacre la « défaite des femmes » sans laquelle, selon Catherine Clément, l’opéra perd sa raison d’être. C’est bien ainsi que Chavaz la présente, poursuivant le propos de son
Pelléas en la cernant à différentes périodes de sa (longue) vie dans une chambre aux murs mouvants où trône un lit tournant, hanté par un trio chantant représentant un monde qu’elle a cru dominer avant qu’il ne la broie. Interprètes investis, direction sans faille de Jérôme Kuhn à la tête de l’excellent Orchestre de chambre Fribourgeois. Un couronnement - en cette saison aux trois quarts annulée - de la politique artistique ludique, innovante et volontiers radicale poursuivie un quart de siècle durant par Patrice Martinet à l’Athénée.