Jeudi 7 novembre 2024
Concerts & dépendances
samedi 26 juin 2021 à 00h11
Au théâtre de l’Athénée, fin de saison et fin d’une ère – celle du directeur Patrice Martinet, auquel va succéder le tandem Olivier Mantei et Olivier Poubelle : Salomé, d’Oscar Wilde, Richard Strauss et quelques autres par le collectif berlinois Hauen und Stechen, connu in loco pour un Notre Carmen qui n’était effectivement pas celle de tout le monde (voir ici) mais laissait une impression d’inachevé, rappelant la théorie d’Antoine Vitez selon laquelle pour jouer un fou, il ne suffit pas de faire des folies, auquel cas on ne voit pas un fou, mais un monsieur qui fait n’importe quoi. De la folie aussi dans cette Salomé, mais contrôlée et donnant à réfléchir autant qu’à réagir. Certes, il faut suivre, et accepter une esthétique trash typique de la scène germanique. Il faut aussi lire la note d’intention du collectif, où l’on parle de « célébrer l’obsession de Salomé pour le Mystère » et où l’on apprend que la partition de Strauss sera librement adaptée pour petit ensemble et augmentée « d’autres matériaux », le texte de Wilde, en allemand et français (l’original) étant confronté à l’Hérodias de Flaubert ou aux Moralités légendaires de Jules Laforgue. Il nous est rappelé aussi que c’est à La Comédie Parisienne - qui allait devenir l’Athénée - que la pièce a été créée et que la Loïe Fuller (très drôlement représentée ici) a dansé sa version du mythe, tous voiles déployés. Pourquoi tout cela, qu’on ne trouverait pas (ou trop enfoui) dans le chef-d’œuvre de Strauss ? Franziska Kronfoth (metteure en scène), Roman Lemberg (direction musicale) et la troupe (puisqu’il s’agit d’une « écriture de plateau ») se gardent bien d’en donner le fin mot (ou d’en choisir un), mettant Wilde en exergue (« Le mystère de l’amour est plus grand que le mystère de la mort ») au terme d’une "Danse des sept voiles" plutôt originale, où il nous est rappelé, geste à l’appui, que l’Apocalypse (en français la Révélation) mène à la « chose dévoilée ». Au Moyen Age, on croyait que la représentation d’une tête sur un plat guérissait les maux de tête et de gorge. Raison de plus pour tenter l’expérience. 
François Lafon 

Athénée Louis-Jouvet, Paris, jusqu’au 30 juin (Photo © Christina Schmitt)

Rescapé de la crise sanitaire, filmé à Bordeaux sans public, V’lan dans l’œil arrive au Châtelet : salutaire pour un spectacle qui n’est que surenchère d’énergie entre scène et salle. Une forme de justice aussi pour le Palazzetto Bru Zane, qui avec Les Chevaliers de la Table ronde (voir ici) et Mam’zelle Nitouche entre autres, a beaucoup œuvré pour rendre sa place à Hervé, rival malheureux d’Offenbach aux yeux de l’oublieuse postérité. D’autant que ce premier succès du « Compositeur toqué » montre aussi bien sinon mieux que ses ouvrages postérieurs son génie à dynamiter de l’intérieur le grand style et ses prétentions. Car, V’lan dans l’œil, qui s’appelait au départ L’œil crevé - titre rendant mieux compte d’un aveuglement généralisé mais probablement moins vendeur – n’est autre qu’une parodie délirante du Freischütz de Carl Maria von Weber, prototype de l’opéra romantique allemand défendu en France par Berlioz en personne. Le public moderne n’ayant pas forcément les références adéquates, les candidats à sa résurrection doivent trouver d’autres points d’ancrage. Pierre-André Weitz y poursuit sa réflexion rôdée sur les ouvrages précités, d’autant mieux à sa place que si elle pouvait parler (ou chanter), la scène du Châtelet aurait beaucoup à dire sur la question. Epuisants ce surjeu permanent, voire cette hystérie généralisée - facilités et trivialités comprises - valeureusement soutenus par sa troupe habituelle où l’on reconnait les excellents Damien Bigourdan, Flannan Obé et Olivier Py en personne – se distrayant en marquise de cabaret de ses lourdes responsabilités directoriales (le festival d’Avignon !) ? Certainement, mais témoin aussi d’une époque où ce n’est qu’avec le « trop » que l’on rend compte d’une société. Celle d’Hervé ou la nôtre ? A vous de choisir, ou non… En attendant, chapeau à l’Orchestre (Pasdeloup), au chef Christophe Grapperon et aux chanteurs-acteurs, car pour en être la parodie, V’lan dans l’œil requiert à peine moins de qualités que Le Freischütz lui-même. Dommage seulement que les nombreux dialogues parlés ne soient pas captés avec plus de clarté. 
François Lafon 

Théâtre du Châtelet, Paris, jusqu’au 23 juin, dans le cadre du 8ème festival Palazzetto Bru Zane  (8 juin – 31 juillet) – Captation sur le site Opera on video (Photo©Eric Bouloumié)

En alternance au théâtre de l’Athénée : Pelléas et Mélisande et Powder her Face, venus du Nouvel Opéra de Fribourg et mis en scène par Julien Chavaz. Debussy vs Thomas Adès par la troupe sans complexes à laquelle nous devons in loco un sarcastique Moscou-Paradis (Chostakovitch – voir ici) et une acidulée Importance d’être Constant (Gerald Barry d’après Oscar Wilde - voir ) ? Pas vraiment car si ce « Poudrez ce visage » (ou réduisez-le en poudre) est bien le premier ouvrage lyrique (1995) du futur compositeur de La Tempête (d’après Shakespeare) et de L’Ange exterminateur (d’après Luis Bunuel - voir ), c’est, avec Pelléas, à un « théâtre musical » d’après la pièce de Maurice Maeterlinck que nous sommes conviés, Debussy n’apparaissant que sous forme de citations sporadiques dans une partition omniprésente et multi-directionnelle de l’Helvéto-Britannique Nicholas Stücklin.  Dans les deux spectacles c’est cependant la même question qui se pose : jusqu’où peut-on aller dans la mise en pièce(s) du genre opéra ? Exotisme, minimalisme, onirisme et psychédélisme sont, selon Stücklin, Chavaz et sa collaboratrice Nicole Morel les maîtres-mots de ce Pelléas pour deux chanteurs, deux comédiens, un danseur et un claviériste, bouclé en une heure et vingt minutes et suivant la trame de la pièce, mais dans une atmosphère comico-cauchemardesque, où dans et sur les bords d’une piscine sans eau, une naïade aux faux-airs d’Arielle Dombasle subit la loi de créatures mi-chair mi-poisson et vivra un amour « accompli sans un mot ». « Qui es-tu Pelléas ? » se demandent les auteurs. On n’aura pas de réponse : a-t-on envie de savoir pourquoi la Joconde sourit ? On aura en revanche reçu en pleine face la scène où Yniold (un barbu plus enfant que nature) est questionné jusqu’à la torture par Golaud (une femme). Pas de réponse non plus : « Que font-ils ? » – « Ils ne font rien ». En pleine face aussi, et tout aussi radical sous des aspects "opéra anglais" hérité de Britten l’ouvrage d’Adès, portrait lyrique à la Francis Bacon de la duchesse d’Argyll, l’aristocrate aux quatre-vingt-huit amants, contre-héroïne d’un scandale sexuel comme la gentry britannique en aura peu connu (et pourtant…) et érigée en Traviata ou en Lulu moderne à travers cet ouvrage « de chambre » (et pour cause…) où sont convoqués le jazz et le tango, Berg et Schönberg, Bernstein et Stravinsky, le cabaret berlinois et la comédie musicale façon Broadway. A moins que cette mise à mort ne consacre la « défaite des femmes » sans laquelle, selon Catherine Clément, l’opéra perd sa raison d’être. C’est bien ainsi que Chavaz la présente, poursuivant le propos de son Pelléas en la cernant à différentes périodes de sa (longue) vie dans une chambre aux murs mouvants où trône un lit tournant, hanté par un trio chantant représentant un monde qu’elle a cru dominer avant qu’il ne la broie. Interprètes investis, direction sans faille de Jérôme Kuhn à la tête de l’excellent Orchestre de chambre Fribourgeois. Un couronnement - en cette saison aux trois quarts annulée - de la politique artistique ludique, innovante et volontiers radicale poursuivie un quart de siècle durant par Patrice Martinet à l’Athénée. 
François Lafon 

Théâtre de l’Athénée, Paris. Pelléas et Mélisande, Powder Her Face, en alternance jusqu’au 20 juin (Photo © Magali Dougados)

vendredi 4 juin 2021 à 23h35
Retour aux sources pour la réouverture de l’Opéra Comique : L’Orfeo de Monteverdi, associant chef consacré (Jordi Savall) et metteure en scène en devenir (Pauline Bayle). Comment se démarquer, en ces temps de surinterprétation exponentielle et de Regietheater généralisé ? En faisant le contraire, si l’on en croit ce qu’on voit : scène vide, costumes neutres, gestique quotidienne, symboles parcimonieux, comme ces fleurs (du bonheur ?) qui désertent le plateau quand survient le malheur, et qui reviennent former un cercle magique dont Orphée ne sortira que pour suivre Apollon au royaume des dieux. L’invention de l’opéra, le passage du madrigal (le bonheur) au drame (déjà) lyrique n’en apparaissent-ils que mieux ?  On ne se pose pas vraiment la question, tant l’oreille est sollicitée. A la différence de René Jacobs, l’autre incontournable en matière d’Orfeo, Savall pratique la synthèse plutôt que l’analyse. Porté par un Concert des Nations et une Capella Reial de Catalunya plus que jamais à sa main, il conduit un plateau « introuvable » à se surpasser. Passage de relais haut la main entre Sara Mingardo et Furio Zanasi - déjà bouleversante Messagère et Orphée de référence dans l’enregistrement de 2002 (Alia Vox), ce dernier montant en grade (dans l’ordre divin) en devenant Apollon – et Marianne Beate Kielland, imposante Speranza, mais surtout Marc Mauillon, entré, depuis sa prise de rôle à Dijon il y a cinq ans (voir ici) dans le cercle restreint des Orphée mémorables. Notes et mots indissociables, il éclaire la Seconda pratica montéverdienne, corde sensible  du genre lyrique à venir, et assume tout naturellement l’aspect christique du personnage, en filigrane dans l’œuvre comme en témoigne l’apothéose finale remplaçant de la mise à mort « mythologique » d’Orphée par les Ménades. 
François Lafon
Opéra-Comique, Paris, jusqu’au 10 juin. En direct sur Mezzo le 10 juin, en différé sur France Musique le 3 juillet.
(Photo © Stefan Brion)

Sous le titre Qui oserait encore se retourner ? le collectif Wipplay et l’Opéra Comique proposent du 5 mai au 16 juin un concours photo. « Sortir des enfers en juin 21 : quelles images pour en parler aujourd’hui, quel Orfeo serez-vous après ces mois reclus ? » Exposition des lauréats en septembre sur les grilles du théâtre. Pour tout savoir, c'est ici.

 

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