Lundi 2 décembre 2024
Concerts & dépendances
A l’Opéra-Comique, première en « relaxe » (accueil de personnes psychologiquement atypiques) de La Périchole d’Offenbach, mis en scène par Valérie Lesort et dirigé par Julien Leroy. Un ouvrage ambigu - le préféré souvent des offenbachophiles mais réputé moins drôle que les autres –, décalque trompeusement souriante de Carmen (mêmes librettistes, Meilhac et Halévy, même époque) surfant sur la vague hispanisante, parant d’une musique irrésistible et plus complexe qu’il n’y paraît la peinture d’un monde sous tutelle (Napoléon III), où règnent les réseaux (« Il grandira car il est espagnol », suivez le regard… de l’Impératrice), où l’artiste - a fortiori féminine - doit se compromettre pour survivre. Dans un esprit « opérette » évoquant lointainement Maurice Lehmann (1969, Théâtre de Paris, décors « exotiques » de Jean Carzou) ou plus récemment (et in loco) Jérôme Savary, Valérie Lesort, manieuse très douée de trompe-l’œil scénique (souvent avec marionnettes) ne cherche pas à intellectualiser l’objet, se reposant sur les standards (on pourrait dire les poncifs, ballets compris) du genre tout en dérapant savamment dans un too much qui est sa signature. C’est frustrant au début, la seconde partie démentant ce parti-pris, où le vieux prisonnier, sorte d’abbé Faria burlesque « qui ne se souvient même pas de quoi on l’a accusé » contribue à remettre les pendules à l’heure. Plateau adéquat autour de Stéphanie d’Oustrac (tiens, une Carmen – voir ici), Philippe Talbot, ténor « de caractère » à la française, et Tassis Christoyannis (le mieux chantant sinon le plus naturellement truculent des Vice-rois), tous grossissant le trait dans la partie théâtre mais se rattrapant dès que la machine musicale offenbachienne décolle, pilotée sans faiblir par Julien Leroy à la tête du Chœur Les Eléments et d’un impeccable Orchestre de Chambre de Paris. 
François Lafon 

Opéra Comique, Paris, jusqu’au 25 mai (Photo © Stefan Brion)

Molière 400ème anniversaire à l’Athénée Louis-Jouvet, avec George Dandin ou le mari confondu mis en scène et joué par Michel Fau. Philippe Beaussant, théoricien (et praticien) du mouvement dit « baroqueux », rêvait de voir cette « comédie grinçante » dans son intégralité, avec les intermèdes et le grand final composé par Lully pour sa création lors du « Grand Divertissement royal de Versailles », (1668). « Cela ne sera possible, disait-il, que lorsque cette pièce considérée comme un « petit Molière » échappera aux néo-brechtiens, eussent-ils le talent de Roger Planchon ou de Jean-Paul Roussillon, qui en gauchissent le sens et en font un traité didactique sur la lutte des classes ». Voilà chose faite avec ce spectacle, où Fau et le chef Gaétan Jarry assument les apparentes contradictions de l’œuvre. « Quand la comédie parle d’infidélité, la pastorale parle de fidélité. Quand l’une se moque des nobliaux provinciaux, l’autre idéalise la noblesse de cour » note le metteur en scène. Et quand Dandin, paysan enrichi marié à une chipie titrée, parle de « s’aller jeter dans l’eau la tête la première », les bergers chantants viennent remonter le moral du cocu désespéré, affirmant que « le soleil chasse l’ombre » (le roi est dans la salle) et que « rien n’est plus doux que Bacchus et l’amour ». Fidèle à l’esthétique anti-réaliste de ses précédents Molière (Le Misanthrope, Tartuffe), Fau (très sobre, mais oui) vit cette histoire pleine de contradictions comme un cauchemar éveillé, où des pantins enrubannés (somptueux costumes de Christian Lacroix) jaillissent d’un castelet baroque sur fond de tapisserie à fleurs de lys, tandis que les huit musiciens et quatre chanteurs de l’Ensemble Marguerite Louise font briller la musique riche et complexe de Lully. Loin d’appauvrir le propos, cette remise en perspective musico-historique l’enrichit encore, achevant de rappeler que George Dandin n’est pas un « petit Molière » et encore moins un « petit Lully ».
François Lafon
Athénée, théâtre Louis-Jouvet, jusqu’au 29 mai.  Tournée en juin à Chambéry (1er et 2), Berne (9), Caen (14 au 17), Arles (24). A Versailles les 23, 24, 25 septembre (Photo © Marcel Hartmann)

dimanche 1 mai 2022 à 20h35
Suite du parcours Bach entamé par Benjamin Alard à l’orgue et au clavecin à l’occasion de la sortie du volume 6 de son intégrale pour le label Harmonia Mundi – dix-huit sont d’ores et déjà programmés. Ce dimanche 1er mai, arrêt en fin d’après-midi au Temple d’Orléans pour des extraits du 1er Livre du Clavier bien tempéré, dans le cadre de l’Orléans Bach Festival dirigé un temps par le violoniste Patrick Cohën-Akenine. Sur le clavecin du conservatoire, un Hudbard et Dowd de 1957, le jeune musicien fait respirer le Prélude et Fugue n° 1 BWV 846, pour ensuite mieux célébrer la lenteur élégiaque du 11 BWV 856, puis la sagesse contemplative du XII BWV 857. Légèreté du Prélude VI BVW 851 enchaîné à l’architecture savante de sa Fugue. Plus loin, Alard restitue avec une égale maîtrise la virtuosité du Prélude et Fugue X BWV 855. Pour la seconde partie de son récital, à la tribune de l’orgue du facteur Alfred Kern – jadis apprécié par Leonhardt puis par son élève Bob van Asperen, à l’époque du Festival de musique ancienne –, il enchaîne avec six autres Préludes et Fugues du Clavier – et un bis chaloupé, où Bach rencontrait Vivaldi.
        Franck Mallet

• prochains concerts Bach le 21/05 à Paris (Temple du Foyer de l’Âme) et le 31/05 à Ivry-sur-Seine (Médiathèque Antonin Artaud). (Photo © DR)

Création française, au Palais Garnier, de Fin de partie de György Kurtag, reprise du spectacle mis en scène par Pierre Audi en 2018 à la Scala de Milan. Le titre complet de l’ouvrage, Samuel Beckett : Fin de partie - scènes et monologues, pose le problème, et expose sa résolution. Car Beckett, par ailleurs musicien dans l’âme et pianiste doué, a toujours mis les compositeurs à distance : « Il s’agit d’une parole dont la fonction n’est pas tant d’avoir un sens que de lutter, mal j’espère, contre le silence et d’y renvoyer. Je la vois donc difficilement partie intégrante d’un monde sonore », écrivait-t-il à l’un d’eux, inspiré par sa pièce En attendant Godot. Quid donc de Kurtag, connu pour son esthétique fragmentaire et son génie des petites formes, relevant à quatre-vingt-dix ans passés le défi d’un premier opéra, forme longue par essence ? Les silences du texte (didascalies rythmées par de nombreux « Un temps ») rejoignent, il est vrai, son rythme personnel et son expérience des voix (Roger Blin, créateur de Fin de partie en 1957, avait d’ailleurs une « musique vocale » très affirmée, tout comme son successeur Michel Bouquet). Dès la « pantomime de Clov » qui ouvre le spectacle, on se dit que la partie est gagnée, que le silence est pris en compte, l’humour aussi, fût-il très noir, que cette pièce qui commence par « Fini, c’est fini » et met en scène un aveugle paraplégique, ses parents culs-de-jatte vivant dans des poubelles suite à « un accident de tandem dans les Ardennes » et son serviteur souffre-douleur difficultueusement ingambe a trouvé un musicien qui aurait - peut-être - convaincu Beckett. A mesure qu’avance le spectacle (deux heures tout juste) pourtant, les affects prennent le dessus et les dernières scènes, quoique musicalement superbes, donnent en partie raison… à Beckett. Pierre Audi, qui a eu la belle idée de placer ces icônes du « théâtre de l’absurde » (dénomination récusée par Beckett) dans un univers d’ « enfermement dehors » (maisons gigognes interdisant tout échappatoire), prévient la réticence : « Kurtag, à sa manière, a réussi ce que Verdi avait fait avec Otello : il en a repensé le message sous-jacent et amplifié le lyrisme en permettant à la musique de traduire la psyché des personnages, ce qui supprime le cryptage qui tient les émotions à distance quand on assiste à Fin de partie dans sa version théâtrale ». Belles performances du chef Markus Stenz et des quatre chanteurs, chacun paré par le compositeur d’un style personnel et rendant justice à une écriture vocale privilégiant le texte (en français) sans jamais tomber dans la facilité très répandue consistant à réciter sur fond musical, avec mention spéciale au baryton Leigh Melrose, serviteur dégingandé retrouvant toute l’étrangeté des grands acteurs beckettiens.
François Lafon 

Opéra National de Paris – Palais Garnier, jusqu’au 19 mai – En différé sur France Musique le 1er juin (Photo © Sébastien Mathé / OnP)
 
 

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