Vendredi 25 avril 2025
Le cabinet de curiosités par François Lafon
jeudi 10 avril 2025 à 09h27
Déchéance du conte de fée et fortes visions oniriques

Exit la production de 1997, ascétique, intemporelle, hypnotisante, en ombres chinoises, probablement unes des meilleures de Robert Wilson, qui a défendu Pelléas et Mélisande de Claude Debussy sur la même scène, d'abord au Palais Garnier puis à l'Opéra Bastille, avec des interprètes souvent prodigieux pendant plus un quart de siècle. Le metteur en scène libano-québécois Wajdi Mouawad prend dignement la relève pour inscrire, on l’espère, cette pièce majeure au répertoire de la première scène lyrique française qui, comme Carmen de Bizet, devrait être accessible en permanence au public. Son approche convoque tous les tics et le confort moderne de la mise en scène lyrique contemporaine. Les interludes musicaux sont théâtralisés, l’envahissante vidéo tient lieu de scénographie et – le procédé se développe de plus en plus – le sur titrage ne se contente plus d’être supérieur et latéral à la scène, il est projeté sur son rideau de fond. Pas toujours inutile, évitant de voir des salles de spectateurs la tête levée et, car si la distribution est globalement bien disante, la projection du chant n’est pas toujours excellente.
On ne peut s’empêcher de penser qu’avec une telle distribution, le spectacle aurait gagné à revenir à Garnier. Le dispositif scénique sur trois niveaux fait que les chanteurs sont souvent plaqués contre le rideau de fond de scène (qui permet entrée et sorties par un système ingénieux de rideau de cordes, avec certes un effet cinématographique saisissant mais leurs voix ne projettent moins bien vers la salle que quand ils chantent plus en avant ou directement à l’avant-scène. Ainsi beaucoup de la superbe lettre de Golaud chantée par Sophie Koch passe à la trappe car on n’en perçoit clairement que les graves. Aussi pour Sabine Devieilhe, exquise Mélisande au discours tout en finesse mais n’ayant vraiment pas le format vocal de ce grand théâtre. Huw Montague Rendall (Pelléas à a diction parfaite) et Gordon Bintner (pour une fois un jeune Golaud) s’en tirent mieux alors qu’Arkel (Jean Teitgen) et le Petit Yniold (Anne Blanche Trillaud Ruggeri soliste de la Maîtrise de la Troupe lyrique maison à la technique vocale parfaite) peinent à se faire entendre.
Wajdi Mouawad opte pour une narration fidèle de cette « déchéance d’un conte de fée » en montrant la violence et la cruauté contenues dans le texte de Maeterlinck. On y voit le sanglier blessé par Golaud, son cheval dépecé par les « pauvres » qui rodent au Château d’Allemonde. Les vidéos de Stéphanie Jasmin vont d’un naturalisme figuratif à un bel impressionnisme avec des visions oniriques des protagonistes coulant au fond de l’eau comme les bijoux de Mélisande. La direction d’acteurs est irréprochablement lisible et si le spectacle flotte un peu sur l’immense plateau il est dramatiquement satisfaisant.
Le chef italien Antonello Manacorda exalte les aspects très dramatiques de la partition à la tête d’un orchestre magnifique qui a dû conserver en mémoire ce qu’avait apporté d’onirique Philippe Jordan lors des dernières reprises de la production de Wilson.

Olivier Brunel

Représentation du 28 février 2025

• Prochaines représentations les 4, 12, 15, 18, 20, 25 et 27 maos (19h30) et le 9 mars (14h30)
photo : © Benoîte Fanton OnP
• Captation réalisée par François Roussillon et produite par l'Opéra de national de Paris avec le soutien de la Fondation Orange à partir du 20 mars (19h30) sur la plateforme
POP
• Diffusion radio à venir sur France Musique
Claude Debussy
Debussy : Pelléas et Mélisande
Sabine Devieilhe (Mélisande), Huw Montague Rendall (Pelléas), Gordon Bintner (Golaud), Jean Teitgen (Arkel), Sophie Koch (Geneviève) Blanche Trillaud Ruggeri (Le Petit Yniold)
Chœur et Orchestre national de l'Opéra de Paris
Direction musicale : Antonello Manacorda
Mise en scène : Wajdi Mouawad
dimanche 9 février 2025 à 16h35
Piano quantique

Avantage de la musique vivante : On profitait au « TCE » de deux « stars », Kit Armstrong, musicien surdoué et personnage fulgurant et romanesque, et le piano Steinway, somptueux outil, qui répondait aux moindres nuances du jeu du pianiste. Celui-ci ne se privait pas de passer en un instant d’un univers à un autre, d’une violence fulgurante  à une douceur séraphique, ou de faire percevoir les voix complémentaires de sa main droite et de sa main gauche, en éloge et illustration du contrepoint. Kit Armstrong a une totale maitrise de son propos, et c’est un musicien « pédagogue ».  Ici, la filiation de Bach à Chopin, puis à Rachmaninov.   Armstrong qui, malgré son jeune âge, est aussi un compositeur prolifique, adore illustrer un répertoire débutant à Guillaume de Machaut, en passant par les virginalistes anglais, William Bird ou John Bull, en soulignant leur apport aux musiciens suivants, tout en jouant  également des compositeurs contemporains. Michel Mollard, complice de Kit Armstrong dans la composition du programme de cette soirée  compare malicieusement le pianiste au chat de Shrodinger, illustrant un paradoxe de la physique quantique qui est la propriété d’être en même temps dans deux lieux différents. La comparaison s’impose pour ce pianiste anglo-taiwanais, né en 1992, qui, à 20 ans, soutenait un master de mathématiques à Paris, après des études aux Etats unis et à Oxford. A 14 ans, une rencontre fortuite avec Alfred Brendel avait débouché sur « 4 heures de travail commun sur la sonate Les Adieux de Beethoven », puis le soutien indéfectible de Brendel. En 2012, Armstrong a racheté l’ancienne église de Hirson, dans l’Aisne, qui, depuis, abrite ses expériences  musicales et accueille nombre de ses amis, chambristes ou chanteurs. Il vit aussi bien à Hirson qu’en Italie, en Autriche, partout où sa boulimie de musique, de rencontres et de partage  trouve à s’exercer. Dernier projet en date, une « expédition Mozart » à travers l’Europe avec un groupe d’amis musiciens et chanteurs : treize dates à sillonner l’Europe entre le 18 avril 2024 et le 1er février dernier.
Denis Méchali

• Paris, Théâtre des Champs-Élysées, le 8 février. Photo DR

• En concert les 11/02 à Berlin (Philharmonie, avec Ensemble der Berliner Philharmoniker), 15/02 à Bamberg et 16/02 à Erlangen : Concerto en Fa de Gershwin avec Bamberger Philharmoniker, dir. B. de Billy ; 17/03 à Barcelone (Palau de la Músican) : récital Bach et Liszt ; 19/03 à Saint-Étienne (Théâtre Copeau) : Chopin, Liszt, Rachmaninov et Saint-Saëns ; 26/03 en récital à Bilbao ; 2/05 à Hirson (Église Sainte-Thérèse) : Semaine de la voix.
mercredi 23 octobre 2024 à 15h55
Ce livre sur Schönberg (1874-1951) ne raconte pas : on a là un dictionnaire en soixante-douze entrées couvrant largement la production, la carrière, la personnalité et l’entourage d’un compositeur posant toujours problème. Titre significatif : « Qui a peur d’’Arnold Schoenberg ? » L’objectif n’est pas de rassurer, mais bien d’illuminer. Les entrées, de types divers, mènent parfois à des développements inattendus et se terminent par des renvois à d’autres. Quelques-unes concernent des œuvres, sans détours comme « Pierrot lunaire », ou indirectement comme « Fraicheur unique », qui débouche sur la symphonie de chambre opus 9, « œuvre préférée » de l’auteur du livre, ou comme « Poème symphonique », qui bien sûr traite de Pelléas et Mélisande. D’autres entrées concernent des traits de style, comme « Atonalité », « Expressionnisme » ou « Orchestration ». D’autres des éléments biographiques comme « Antisémitisme », « Berlin », « Société d’exécutions musicales privées », « USA », « Vienne ». D’autres sont plus abstraites à première vue mais non moins importantes : « Antipode » (Stravinsky), « Fils » (Berg) et surtout « Philosophe » avec son portrait d’Adorno. On retrouve ce dernier dans « Polémique » (à propos du Docteur Faustus de Thomas Mann). Il est souvent question de Boulez, mais n’ont droit à des entrées individualisées que « Busoni » et « Mahler ». L’entrée « Gifles » évoque le concert à scandale du 31 mars 1913, et « Peinture » aurait pu renvoyer à « Famille », et réciproquement. Pourquoi ? Pour le savoir, se plonger dans Bigorie.
Marc Vignal
 
Jérémie Bigorie : Qui a peur d’Arnold Schönberg ? Edition des Lumières, 196 p., 17,90 euros

Sorti quelques jours avant Noël comme le produit phare de Netflix, Maestro est le contraire de ce qu’on aurait pu s’attendre d’un biopic grand public sur Leonard Bernstein. Pas d’ascension et triomphe d’un génie, puisque le génie crève déjà à l’écran dès le début, le concert avec le Philharmonique de New York où un espoir de 25 ans remplace au pied levé Bruno Walter pour devenir le prodige que l’on s’arrache. C’est plutôt la relation avec Felicia Montealegre (Carey Mulligan) qui constitue le fil de la narration, depuis leur rencontre jusqu’à la mort de l’actrice devenue pour le monde la femme du chef le plus célèbre qui soit. Comment survivre à un tel monstre, telle est la question : en épousant Lenny, Felicia n’ignore rien de l’appétit sexuel de son futur mari ni son penchant pour les garçons, mais elle va mesurer les effets dévastateurs du besoin maladif d’attention et de reconnaissance d’un éternel enfant qui ne peut se passer de sa vie de famille pas plus que de mener une carrière intense qui l’éloigne du foyer, tout en multipliant les aventures extra-conjugales en s’entourant d’une cour qui ne peut évidemment que tomber sous le charme d’un séducteur-né. « Je veux tout » dit Bernstein : c’est à Felicia de le mettre en face de ses contradictions dans une scène, la meilleure du film, où le couple prend acte du fossé ouvert entre les deux, comme dans un drame conjugal à la Ingmar Bergman. 
Produit par Martin Scorsese et Steven Spielberg avec tout ce qu’il fallait pour récréer avec luxe les années 1940 à 1970, le film est dirigé par Bradley Cooper, qui n’a pas eu peur d’endosser lui-même le rôle principal. Trop admiratif du personnage auquel il est censé donner vie, l’acteur-réalisateur se limite le plus souvent à l’imiter, moyennant un faux nez, des coiffures poivre sel et la diction typiquement nasale de Lenny, plus qu’à l’incarner. La ridicule est atteint dans une séquence inutilement longue, l’interprétation de la Deuxième symphonie de Mahler à la cathédrale d’Ely avec un Cooper qui singe tous les maniérismes dont le chef était capable. Yannick Nézet-Séguin, engagé comme consultant, aurait dû le mettre en garde : tout le monde veut être le nouveau Bernstein, personne n’y est parvenu encore...
Pablo Galonce

Maestro, de Bradley Cooper. 2h11. Disponible sur Netflix

mercredi 8 novembre 2023 à 12h19
Dans la nuit, à la lueur des torches, une barque approche de la rive romaine dans un superbe clair-obscur (photographie de Francesco Di Giacomo) : pour l’œil, le plan légèrement flottant pris par derrière rappelle l’Île des morts. L’oreille confirme : ce que l’on entend c’est justement le poème symphonique homonyme, pour lequel Rachmaninov a trouvé son inspiration dans le célèbre tableau (ou plutôt la série de cinq tableaux) d’Arnold Böckling. C’est l’un des plus beaux moments, parmi les nombreuses images captivantes dans le film de Marco Bellocchio L’Enlèvement, actuellement en salles (et reparti bredouille, incompréhensiblement, du dernier Festival de Cannes). Le morceau de Rachmaninov donne même la tonalité très sombre à toute la première partie du film, celle qui raconte l’enlèvement d’un enfant juif à sa famille et son intégration forcée dans l’univers catholique. Cinéaste de l’intime et de l’histoire, ou plutôt de l’intime dans l’histoire (voir Vincere ou sa série Esterno notte sur l’affaire Aldo Moro), Bellocchio raconte cette histoire vraie à la fois en fouillant dans le contexte (les années mouvementées du Risorgimento et l’unification italienne) et en brossant le portrait des personnages, dont celui de Pie IX (Paolo Pierobon). C’est à lui que Bellocchio réserve quelques scènes oniriques, dont une où le Pape voit les caricatures vraiment salaces que la presse libérale lui consacre s’animer comme dans un cartoon aux sons du scherzo du Huitième quatuor de Chostakovitch. Ce n’est pas la dernière référence classique de la bande son (dont la musique originale est signée Fabio Massimo Capogrosso) car le Cantus in memoriam Benjamin Britten d’Arvo Pärt arrive dans la dernière partie de ce film bouleversant et troublant.
Pablo Galonce

L’Enlèvement, de Marco Bellocchio. Actuellement en salles. 

Dans La Nuit aussi est un soleil, le critique d’art Pierre Cabanne évoquait certains « hors-la-loi de la peinture », de Rembrandt à Nicolas de Staël, en passant par Goya, Gauguin, Van Gogh, Toulouse-Lautrec ou Soutine. En invitant une nouvelle fois la compositrice Éliane Radigue, les Soirées Nomades de la Fondation Cartier pour l’art contemporain s’inscrivent  sans conteste dans cette démarche célébrant cette « hors-la-loi » de la musique. Qui se souvient des Chants de Milarépa, premier album de cette pionnière du minimalisme et de l’électroacoustique (passée par le Studio d’essai de la RTF et les premiers synthétiseurs modulaires au studio de Morton Subotnick à San Francisco), longue pièce méditative avec la voix de son confrère new-yorkais Robert Ashley (Lovely Music) ? Près d’un demi-siècle plus tard, elle applique ce principe à des compositions destinées exclusivement à des instrumentistes, des « phantasmes sonores » constitués de solos, duos, trios pour harpe, trompette, violoncelle, clarinette basse, où la musique s’exhale comme un souffle aux résonances infinies, une vague gigantesque ou encore une sculpture aux mouvements aériens à l’image d’un mobile de Calder. Une série fascinante aux combinaisons instrumentales multiples déclinées en quatre soirées : « pour rêver très grand, affirme-t-elle, car dans la réalisation, on est toujours obligé d’abandonner quelque chose. Si le rêve est grand, il en reste beaucoup, et si le rêve est petit, il n’en reste que très peu ».                                                                                                                                                                                            Franck Mallet

Fondation Cartier boulevard Raspail Paris – « Éliane Radigue, OCCAM OCEAN, rétrospective » les lundis 18 et 25 septembre, et 9 et 16 octobre (19h30)

Photo © Olivier Ouadah
jeudi 17 août 2023 à 13h04
« Celle qui s’approchait le plus d’une véritable actrice-chanteuse », résume Plácido Domingo (rapporté par Eric Dahan dans Libération) à propos de Renata Scotto, disparue le 16 août à quatre-vingt-neuf ans. « L’art de se surpasser », pourrait-on ajouter. Voix légère, voix héroïque, maîtrise du souffle et du timbre (stridences comprises), équilibre millimétré entre culte du beau chant et tempérament de tragédienne : comme chez Maria Callas, l’art cache l’art. Ecoutons-la, puisqu’elle fut une championne du disque audio (voir sa discographie ici) avant que la vidéo ne se généralise, dans Verdi (deux fois Rigoletto et Traviata, Desdémone d’Otello, Abigaille dans Nabucco), Puccini (deux fois Madama Butterfly, Liu dans Turandot, Suor Angelica), Bellini (Norma), Giordano (Andrea Chénier), Cilea (Adriana Lecouvreur) et même Mascagni (Cavalleria Rusticana). Sentant la fin (de la carrière) venir, elle retravaille son allemand et tente Wagner (Kundry dans Parsifal), Strauss (La Maréchale du Chevalier à la rose, Clytemnestre dans Elektra) et Schönberg (Erwartung). Un ultime saut de l’ange qui la décrit tout entière.
François Lafon
 

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