Souvent à l’affiche – rien qu’en France, à Marseille en 2017, Paris Bastille en 2018, puis à Toulouse en 2023, ainsi que l’année suivante à Avignon, sans oublier de nouveau Paris, cette fois au TCE, reprenant le spectacle toulousain –, Boris Godounov, l’opéra de Moussorgski ouvre la saison lyonnaise. Une nouvelle production (qui ira ensuite à La Monnaie de Bruxelles et à l’Abu Dhabi Festival) confiée au très jeune chef biélorusse Vitali Alekseenok, qui a choisi la version initiale de l’ouvrage de 1869 – « la plus révolutionnaire » –, sans l’acte polonais, la plus resserrée aussi : moins de deux heures et demie de spectacle.
Le plus réussi demeure sans conteste les voix, entre le Boris idéalement halluciné, plaintif et criard de la basse russe Dmitry Ulyanov, le roublard Prince Chouïski du ténor Sergey Polyakov, le formidable Varlaam de l’Américain David Leigh, moine truculent vagabond qui éclipse presque, au 2e tableau, le Grigori de l’excellent Mihails Culpajevs. Au final de l’opéra (quatrième partie), il faut retenir l’intervention, certes modeste, de Filipp Varik, jeune ténor estonien membre depuis 2024 du Lyon Opéra Studio, qui donne une interprétation poignante, hors du temps, de la lamentation sur le sort funeste de la Russie.
Pour son premier spectacle en France, le metteur en scène Vasily Barkhatov (né en 1983), par ailleurs directeur du Théâtre Michel de Saint-Pétersbourg, a débarrassé l’ouvrage de ses références à la société russe, hormis les prêtres en robe et des cloches qui descendent par deux fois des cintres. Le peuple, impuissant et passif – et occupant les trois-quart de la scène sur trois niveaux d’estrades – ne fait qu’observer la comédie du pouvoir à travers des téléphones portables. Chef d’orchestre et metteur en scène souhaitent un spectacle épuré, voire minimal, seulement habité par l’imbrication si caractéristique chez Moussorgski de l’orchestre et du chant le plus naturel, resserrée sur la palette de couleurs et de caractères des personnages. Pari partiellement tenu, si ce n’est que la scène est parfois confuse et que les pauses entre les différents tableaux et la présence d’un entracte entament sérieusement la fluidité racée de l’écriture.
Idem, pour les 3e et 4e parties, l’immense toboggan au pied d’une nurserie, asile (?) ou parc à jeux avec ses couleurs fluo, s’harmonise difficilement avec la scène d’hallucination du tsar, hanté par l’image de l’héritier assassiné dont il perçoit le spectre… En revanche, bien vu le rôle muet de Féodor, fils de Boris, enfant aux gestes désordonnés qu’on cajole à l’excès – et dont le fol esprit rejoint celui de l’Innocent. Si la Maîtrise, le Chœur et l’Orchestre ne sont pas en reste dans le succès de l’ouvrage, en revanche celui-ci aurait gagné en contraste avec une direction plus soutenue.
Franck Mallet
• Lyon, Opéra, lundi 13 octobre
• Prochaines représentations les 13, 17, 19, 21, 23 et 25/10
• photo : Filipp Varik (L'Innocent) et Dmitry Ulyanov (Boris) © Jean-Louis Fernandez
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captation audio à partir du 22 octobre sur l’appli Radio France
Moussorgski : Boris Godounov, version 1869
Dmitry Ulyanov (Boris Godounov), Iurii Iushkevich (Féodor), Eva Langeland Gjerde ( Xénia), Dora Jana Klaric (La Nourrice), Sergey Polyakov (Le Prince Vassili Chouïski), Alexander de Jong (Andrei Chtchelkalov), Maxim Kuzmin-Karavaev (Pimène), Mihails Culpajevs (Grigori), David Leigh (Varlaam), Filipp Varik (Missaïl / L'innocent), Jenny Anne Flory (L'Aubergiste), Hugo Santos (Nikititch)
Orchestre, Chœurs et Maîtrise de l’Opéra de Lyon Solistes du Lyon Opéra Studio
Direction musicale : Vitali Alekseenok
Mise en scène : Vasily Barkhatov
mis en ligne le mercredi 15 octobre 2025