Vendredi 26 avril 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon

Dans The Knick les seuls miracles sont ceux réalisés dans la salle d’opérations par le chirurgien John Thackery (dopé à la cocaïne, certes), et montrés avec un détail qui fait froid dans le dos. On est à New York en 1900, mais point de nostalgie : c’est surtout par son réalisme que cette série réalisée par Steven Soderbergh fait mouche. Le racisme, les préjugés de classe, la soumission des femmes, c’est une vraie vivisection de l’Amérique du début du XXème siècle. Pourtant, la série ne tombe pas dans le côté « historique » de tant d’autres sériés d’époque. Le choix de Cliff Martinez, partenaire depuis toujours de Soderbergh, pour la musique est l’avenant : ostinatos électroniques et grouillements de synthétiseur rendent encore plus oppressante l’atmosphère de l’hôpital qui donne son nom à la série. Complètement anachronique, ce minimalisme, à l’opposé du côté emphatique de Max Richter, accentue le côté sec et sans complaisance d’une mise en scène au scalpel.

Pablo Galonce 

The Knick saison 2 diffusé sur OCS

Plus tordue et inquiétante encore que la saison 1, la saison 2 de The Leftovers, diffusée actuellement en France sur OCS. Il se passe encore des choses bizarres, pas toujours expliquées d’ailleurs, dans cette série dont l’une des originalités est précisément de ne pas essayer d’expliquer tout. Ce n’est pas de la science-fiction, mais plutôt une réflexion sur la religion, l’irrationnel et leur place dans notre vie : l’action a lieu dans une ville qui ne s’appelle pas Miracle par hasard. La bande sonore est signée par Max Richter, champion des atmosphères planantes, dont les compositions collent à merveille à ce récit entre le surnaturel et le sentimental. Bizarrement, dans cette nouvelle saison, le générique de la première (avec la musique de Max Richter) a été remplacé par une chanson country en complet décalage avec la tonalité mystique de la série. Mais la touche Richter (qu’on se rappelle ses Quatre saisons d’après Vivaldi - voir ici) est toujours perceptible, y compris dans le choix de morceaux classiques pour illustrer certaines scènes. Exemples : le prélude La Traviata de Verdi (pour un accouchement, dans un flashback environ 20.000 ans avant notre ère), ou le Miserere d’Allegri.

Pablo Galonce

The Leftovers, saison 2, diffusion sur OCS

mardi 20 octobre 2015 à 11h39

Injonction - relevée par le site Forum Opéra - de la Cour d’appel de Paris à propos de Dialogues des Carmélites filmé à Munich en 2010 dans la mise en scène de Dmitri Tcherniakov et diffusé en DVD et Blu-Ray par Bel-Air Classics : « Prendre toute mesure pour que cesse immédiatement et en tous pays la publication dans le commerce ou plus généralement l’édition, y compris sur les réseaux de communication au public en ligne, du vidéogramme litigieux ». Motif : les ayants-droit de Francis Poulenc et Georges Bernanos n’ont pas apprécié de voir l’ouvrage privé de sa dimension religieuse. En l’occurrence, la relecture était radicale et le résultat sujet à discussion (voir ici : « Nonnes perdues sans couvent »), mais quid du principe ? Si cette décision fait jurisprudence, nombre de spectacles sont en danger, même si à l’opéra plus qu’au théâtre, l’essentiel du répertoire est dans le domaine public. Le problème n’est pas nouveau : en 1979, les héritiers de Massenet  - coutumiers du fait - avaient fait le même genre de misères au Werther « psy » mis en scène par Jean-Claude Fall au festival d’Aix-en-Provence. A la peur du psy a succédé la susceptibilité religieuse : hasard ou signe des temps ?

François Lafon

mercredi 14 octobre 2015 à 09h47

Premier album cher Warner Classics de Camille Berthollet, jolie rousse de seize ans, violoniste mais aussi violoncelliste et un peu pianiste, lauréate en décembre 2014 de l'émission-concours Prodiges sur France 2 (voir ici), un « carton » télévisuel inespéré dont une deuxième session est déjà annoncée. Au programme, Brahms et Vivaldi, Bach et Fauré, Scott Joplin et Carlos Gardel, John Williams et Astor Piazzolla, des pièces courtes et spectaculaires, un cadeau de Noël tout trouvé. Pur produit marketing ? Une occasion à ne pas manquer en tout cas pour un producteur de disques en période de crise : jeunesse et beauté, dons naturels et travail de haute école, situation familiale favorable en plus, puisque Camille Berthollet fait équipe avec sa sœur Julie, elle-même violoniste et altiste, leurs talents respectifs permettant de nombreuses combinaisons déjà exploités dans le CD. A la question : « Voie classique ou cross-over ? », les sœurs Berthollet répondent en chœur : « Classique bien-sûr. Nous n’en sommes pas à notre premier concours, et nous préparons entre autres le Triple Concerto de Beethoven, avec François-René Duchâble au piano ». Avec Gautier Capuçon (juré de Prodige) en guest star, l’Orchestre d’Auvergne et l’excellent pianiste Guillaume Vincent comme accompagnateurs, le disque joue en effet la qualité : Vade retro, André Rieux ! Ne serait-ce que pour conjurer l’anathème « Vu à la télé ».

François Lafon

1 CD Warner Classics, parution le 16 octobre - Les Prodiges font leur show, samedi 17 octobre à 20h55 sur France 2

lundi 12 octobre 2015 à 09h14

A la Philharmonie de Paris : exposition Marc Chagall, Le Triomphe de la musique, du nom d’une des deux fresques ornant le hall d’entrée du Metropolitan Opera de New York. Parcours à rebours : d’abord le plafond du Palais Garnier commandé par André Malraux (1962-64), à la fin les panneaux réalisés pour le Théâtre juif de Moscou (1920), longtemps oubliés (et donc préservés) dans les réserves de la galerie nationale Tretiakov. Peu de sujets, mais grandioses : La Flûte enchantée du MET (1967), mariant le soleil et l’ombre, l’homme et l’animal, L’Oiseau de feu (Stravinsky – Balanchine - New York 1945), Aleko (Tchaikovski – Massine – Mexico 1942), Daphnis et Chloé (Ravel – Lifar - Opéra de Paris 1958) – monde dansant jamais loin des violoneux de la tradition juive -, enfin La Commedia dell’Arte (Francfort 1958), chef-d’œuvre des projets monumentaux résultant de la sobre requête : « Je cherche un grand mur ». Mais aussi sculptures et collages exaltant la « musicalité des matériaux » (éclats, froissements, déchirements), costumes et leurs maquettes dignes de Léon Bakst (dont Chagall avait été l’élève), films et photos signées Izis ou Lipnitski, raretés venant de collections particulières, avec l’aide active des héritiers du peintre : un parcours circulaire (symbole chagallien par excellence) soigneusement éclairé et mis en perspective (beaux effets de tulles) et rehaussé par ce qu’il faut de nouvelles technologies, comme l’exploration en gros plan - drone aidant - du plafond de l’Opéra. Commentaire musical préparé par le pianiste Mikhaïl Rudy, pertinent mais presque redondant tant Chagall sait « faire chanter le dessin par la couleur ». Parallèlement, à Roubaix : Les Sources de la musique (titre de l’autre panneau géant du MET), une exposition plus intime dont David à la mandoline (« Mon jeune frère effacé, parti de la vie sans convoi ») est peut-être la clé. Une clé ouvrant la porte de ce monde du « divin en tout » cher à la tradition hassidique, motif dans le tapis de cet art plus mystérieux qu’il en a l’air.

François Lafon

Marc Chagall Le Triomphe de la musique, Philharmonie de Paris, du 13 octobre 2015 au 31janvier 2016 – Marc Chagall Les Sources de la musique, La Piscine, Roubaix, du 24 octobre au 31 janvier – La petite boite à Chagall, galerie-atelier pour les enfants, Musée de la musique (Philharmonie 2), les mercredis, samedis, dimanches et vacances scolaires

mardi 6 octobre 2015 à 12h21

En même temps que l’annonce de sa fermeture pour travaux, l’Opéra Comique désormais dirigé par Olivier Mantei lance un nouveau concept (enfin, nouveau sous nos cieux) : l’opéra participatif. L’ouvrage en question, mis en musique par le Français Philippe Manoury, en mots par l’Autrichienne Elfriede Jelinek (prix Nobel) et en scène par l’Allemand Nicolas Stemann, sera titré Kein Licht (Pas de Lumière) et devrait être créé salle Favart en octobre 2017. Principe de l’entreprise : fonder une société de « mécènes-producteurs », c'est-à-dire de donateurs admis à participer « aux étapes de travail habituellement confidentielles entre les artistes et les équipes de production ». Participer ou assister ? Quel généreux contributeur ira taper sur l’épaule du compositeur pour lui indiquer une faute d’harmonie à la mesure 632, ou (plus vraisemblable, quand même) sur celle du metteur en scène pour lui faire remarquer qu’il verse trop dans le Regietheater ? A moins que… les trois noms à l’affiche étant censés attirer un tout autre public que La Traviata relookée par Arielle Dombasle… Une expérience significative en tout cas,  en ces temps de disette subventionnelle et de frilosité créative. Les candidats ont trois mois pour se déclarer, la plateforme de financement participatif étant d’ores et déjà ouverte sur Culture Time. Les anciens se souviendront à cette occasion des productions de disques par souscription, vite devenues des « offres spéciales » de rentrée, plus très participatives. Autres temps…

François Lafon
 

 

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