Vendredi 3 mai 2024
Sakamoto in memoriam
L'homme qui a fait chanter la Terre entière...
Les huit vies de Ryuichi

Décédé le 28 mars dernier à l’âge de 71 ans, Ryuichi Sakamoto aura eu au moins huit vies, de la fondation du groupe de technopop industrielle Yellow Magic Orchestra, avec ses amis Yukihiro Takahashi et Haruomi Hosono, en 1978, à l’électronique minimaliste de son dernier album « 12 », paru en janvier 2023.
« J’ai une sorte de planisphère dans la tête qui me permet d’identifier des similitudes entre les différentes cultures », nous confiait-il pour Le Monde de la musique, en 2001. On reste abasourdi par sa faculté de passer d’un genre à l’autre, cultivant un sens aigu de l’expérimentation, de son premier vinyle solo « Thousand Knives » (1978) à ses opéras multimédia « Raw Life » « Osaka » & « Tokyo »où se téléscopent les voix Pina Bausch, Laurie Anderson, Bertolucci, Burroughs, Churchill, Derrida, Ganz, Salman Rushdie ou du Dalai-lama (1997 et 1999). En marge du rock, il redessine les contours d’une géographie sonore où s’amalgament rythmes de danse, mélodies imparables – la chanson Forbidden colours cosignée avec David Sylvian, dérivée du thème principal destiné au film d’Oshima Furyo : merry Christmas, Mr. Lawrence, et devenue succès planétaire en 1983 ! – et musique populaires – les rythmes nonchalants et chaloupés de « Neo Geo » en 1987 et, dix ans plus tard, ceux de « Smoochy ». Collaborateur-né, il aura fait chanter la terre entière, d’Iggy Pop à Robert Wyatt, de Houria Aichi à Youssou N’Dour, tout en flirtant avec le jazz, se produisant en trio avec Paula et Jacques Morelenbaum, en dignes héritiers du Brésil de Tom Jobim (« In the Lobby », « Casa » et « A Day in New York »). Comédien de cinéma, s’il tient la vedette aux côtés de David Bowie dans Furyo, il n’y aura cependant pas de rapprochement musical entre eux : on eût aimé qu’il fût cet élément perturbateur auprès de Bowie que Brian Eno avait été au moment de sa « Trilogie berlinoise » Low-Heroes-Lodger puis avec Outside…  Oshima lui offrant l’occasion d’écrire sa première musique de film, il enchaîne ensuite avec succès les bandes-sons de Talons aiguilles, du Dernier empereur, de Little Buddha, des Hauts de Hurlevent, du Revenant, etc. La plus originale étant sans conteste celle pour Love is the devil de John Maybury (1998), où il offre un environnement sonore minimal à l’univers sombre, tumultueux et fascinant du peintre Francis Bacon – qui annonce l’épure de ses partitions suivantes destinées, outre celles pour le cinéma –  dont Tabou d’Oshima en 1999 – à des documentaires ou des installations comme celles de Derrida, Silk, Plankton, Nagasi : Memories of my son… Il faudrait encore évoquer l’interprète qu’il fut, revenant seul au piano sur des sources musicales ("BTTB"), ou encore sa maîtrise de l’orchestre – l’album « Discord » (1997) – et la finesse qu’il avait pour revisiter d’anciennes partitions – « Cinemage » (1999) – , ou encore sa propension à s’immerger dans l’univers de son partenaire : les musiques douces qu’il façonna avec les guitaristes Christian Fennesz (« Cendres ») et Christopher Willits (« Ancient Future »). Une vie bien remplie.
                                                                                   Franck Mallet
(Photo © DR)


mis en ligne le mardi 4 avril 2023

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