Vendredi 3 mai 2024
Match Point à l’Opéra Bastille
Hampson, Fleming, Dudamel : trio gagnant pour John Adams
Nixon in China

Créé il y a 36 ans sur la scène de l’Opéra de Houston –  et diffusé en direct à la télévision avec l’interview du compositeur : impensable aujourd’hui ! –, Nixon in China, premier ouvrage lyrique de John Adams, a depuis acquis les faveurs du public de part et d’autre de l’Atlantique, que ce soit en France (première à MC 93 à Bobigny en 1991, suivie vingt et un ans plus tard d’une nouvelle production au Châtelet), en Angleterre ou en Allemagne, et lors de ses reprises aux États-Unis, dont celles de New York, au Metropolitan Opera en 2011, reportée dans la foulée sur DVD (Nonesuch/MET).  Si  l’Opéra de Paris affiche pour la première fois un ouvrage de l’Américain – aujourd’hui âgé de 76 ans, son huitième ouvrage lyrique Antony and Cleopatra a été créé à San Francisco, en septembre 2022 – , ce n’est certes pas un hasard depuis que le chef d’orchestre Gustavo Dudamel préside aux destinées de la formation parisienne, lui qui, entre autres, avait assuré la création à Los Angeles de City Life, ainsi que du concerto pour piano Must the devil have all the good tunes ? … d’Adams.
        Ex-Fura dels Baus, fameuse compagnie théâtrale catalane, Valentina Carrasco signe sa première mise en scène pour l’instituion parisienne. Avec elle, le spectacle se veut à la fois épuré et plus incisif que celui réalisé à l’origine par Peter Sellars, à l’image hypnotisante de cet avion surgi de l’obscurité et chargé de ses invités de marque : Nixon, son épouse Pat et le conseiller Kissinger. Le fuselage métallique de cet aigle ô combien américain aux griffes/train d’atterissage menaçants, qui bascule et se pose avec docilité sur le sol chinois, accuse le ton distancié de cet ouvrage qui, derrière la dérision d’une opération médiatique sino-américaine savamment orchestrée, renvoie dos à dos la violence qu’engendre le pouvoir, à l’Est comme à l’Ouest. Ainsi, le jeu de dupes de la rencontre Mao-Nixon de 1972, ironiquement baptisé « diplomatie du ping-pong », trouve son illustration dans une chorégraphie humoristique de danseurs/lanceurs de balles en équipe, ou encore dans une pluie de balles suspendues – aria « This is prophetic ! » de Pat Nixon prophétisant le retour de la paix. On suit moins la metteur en scène dans sa volonté de « contextualiser » l’opéra ; était-ce bien nécessaire ?
       Bien vu le sous-sol où l’on brûle les livres interdits tandis qu’au-dessus la conversation s’étiole entre dialogue de sourds et nonsense – livret bien troussé d’Alice Goodman –, mais confusion visuelle entre un fragment du film De Mao à Mozart réalisé avec le concours du violoniste Isaac Stern (l’horreur du régime chinois qui emprisonne et torture les professeurs de musique au lendemain de la « Révolution culturelle »), les villages vietnamiens incendiés au napalm par les Américains, l’affaire du Watergate, ou cette vidéo de violences policières (Rodney King tabassé à mort en 1991)… Issu du courant alternatif californien des années 1970, John Adams se confrontait au « grand opéra » avec Nixon in China, genre qu’il renouvelait avec vitalité, habilement frotté à la fois à la pop-music, à Ellington, au Stravinsky jazzy de l’Ebony Concerto ainsi qu’aux rythmes folk revisités par Gershwin et Weill. Son sens de l’orchestration et de la couleur s’anime avec un tel chef à la tête d’un orchestre d’une souplesse idéale, baigné de vents généreux ; Dudamel se joue des citations (l’hymne américain, Le Crépuscule des dieux de Wagner…) comme des rythmes trépidants qui emportent avec fougue la partition, ménageant une certaine tension dans les passages plus lyriques, en particulier à l’acte III, où le doute existentiel des protagonistes confine à la contemplation – même si, sur ce terrain, le compositeur atteindra une spiritualité supérieure avec les mixtures célestes de My Father knew Charles Ives ou de City Noir à partir des années 2000.
         Côté voix, Thomas Hampson endosse pour la première fois le rôle d’un Nixon aux accents mesurés ; son jeu tout en finesse se marie à celui de son épouse, Pat, Renée Fleming, elle aussi une fidèle de Bastille que Dudamel accompagne avec une grande attention, quitte à retenir le volcan de son orchestre. La palme revient sans conteste au Mao radieux et débonnaire du ténor John Matthew Myers ainsi qu’à la jeune soprano Kathleen Kim, Madame Mao aux vocalises pleinement affûtées (final du second acte « I am the wife of Mao-Tse-tung »), reprenant là son rôle du Met, chanté sous la direction du compositeur en 2011. Remarquable Chœur de l’Opéra sous la direction de Chieng-Lien Wu… et public enthousiaste au final, conquis – en présence du compositeur et avec le clin d’oeil de Thomas Hampson imitant le salut de Nixon… à la suite de Jack Nicholson, parodiant lui aussi le geste de l’ancien président américain dans Mars Attacks !,le film de Tim Burton.
Franck Mallet
 
Opéra-Bastille, samedi 25 mars 2023
Prochaines représentations les 29 mars, 1, 4, 7 et 12 avril (19h30) et les 10 et 16 avril (14h30) (Photo © Elisa Haberer / OnP)

Nixon in China
Thomas Hampson, Renée Fleming, Xiaomeng Zhang, John Matthew Myers, Joshua Bloom, Kathleen Kim
Chœur et orchestre de l'Opéra de Paris
Direction musicale : Gustavo Dudamel
Mise en scène : Valentina Carrasco

mis en ligne le lundi 27 mars 2023

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