Mardi 16 avril 2024
Masques dans la nuit
Szymanowski le mal-aimé magnifié par Krystian Zimerman
Szymanowski : Piano works

Il aura donc fallu attendre un demi-siècle pour que Krystian Zimerman, qui avait enregistré les Mythes en duo avec sa compatriote, la violoniste Kaja Danczowska (1981, rééd. 2004), revienne sur cette figure essentielle du XXe siècle en lui dédiant cette fois un album entier. Excepté en Angleterre où le chef d’orchestre Simon Rattle lui consacra une anthologie symphonique et grava son opéra Le Roi Roger, le compositeur polonais demeure curieusement méconnu… Ni la monographie de Didier van Moore (Fayard, 2008) ni les récents enregistrements dirigés par Jacek Kaspszyk (Le Roi Roger, Accord, 2004) et Boulez (Symphonie n° 3 Chant de la nuit et 1er Concerto pour violon, DG,  2010), ni même la production calamiteuse du Roi Roger (création française!) par l’Opéra de Paris en 2009 ne lui ont rendu sa stature légitime. Est-ce un signe ? Les Masques furent captés par le pianiste en 1994, le reste du programme vingt-huit ans plus tard : en juin dernier, dans un cadre de célébration patrimoniale. Avec un tel interprète, on apprécie ce choix de quatre des neuf préludes de l’opus 1 (1896-1900), où le compositeur déambule avec gravité dans les pas de Chopin. Quatre ans plus tard, les Variations sur un thème populaire polonais en si mineur op. 10 montrent des affinités avec le piano virtuose de Liszt, prétexte pour Zimerman de jubiler à son clavier, magnifier la dynamique de chaque variation et doser l’expression – la n° 8 Marcia funebre est comme un concentré de Funérailles lisztiennes ! – jusqu’à un Final, la 10ème variation, grandiose. Parmi les vingt Mazurkas op. 50, les 13e, 14e, 15e et 16e forment déjà une belle unité avec ses rythmes alertes, frottés à un pseudo primitivisme, dérivé peut-être du folklore des Tatras. Autre chef-d’œuvre de la maturité, les Masques op. 34  (1916), joaillerie pianistique en triptyque (Shéhérazade, Tantris le Bouffon et Sérénade de Don Juan) qui a plus à voir avec le Ravel halluciné de Gaspard de la nuit qu’avec l’exaltation mystique du Scriabine des années 1910. Prodigieux Krystian Zimerman qui investit totalement la musique de son compatriote et porte cette musique au rang le plus élevé : où a-t-on entendu une telle richesse de contrastes, de couleurs et d’atmosphères ?                                        
Franck Mallet

Szymanowski : Préludes op. 1 n°S 1-2-7 et 8 ; Masques op. 34 ; Mazurkas op. 50 n°S 13-16 ; Variations sur un thème populaire polonais op. 10
Krystian Zimerman (piano)
1 CD DG 486 3007 (Universal)
1 h 11 min

mis en ligne le mercredi 9 novembre 2022

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