Jeudi 25 avril 2024
Rameau à l'Opéra Bastille
Les Indes galantes côté ombre
Les Indes galantes

Nouvelles Indes Galantes de Rameau à l’Opéra Bastille, premier ouvrage baroque sur la grande scène, tandis que le Palais Garnier affiche… La Traviata (voir ici). A l’origine (2017) : un court métrage sur la 3ème Scène (Web) de l’Opéra signé du jeune plasticien-vidéaste Clément Cogitore, où des danseurs de Krump (ghettos de Los Angeles) mettent littéralement le feu aux « Sauvages » (4ème « entrée » de l’opéra-ballet). L’idée : dans la mégapole occidentale mondialisée, plus besoin de se transporter aux Indes (nom de convention) pour rencontrer « les autres ». Mais ces Indes à domicile ne sont pas le pays de Cocagne dont rêvait le XVIIIème siècle, glorification de la domination française au-delà des mers. Relevant le défi de monter l’ouvrage entier, Cogitore remarque que pour l’homme des Lumières - maître de la connaissance en proie à un ennui métaphysique -, l’opéra-ballet était une « machine à divertir », mais que « le spectacle demeure hanté par la guerre, la souffrance et la mort ». Il y a bien sûr tout cela dans la musique de Rameau, mais aussi son contraire et bien d’autres choses encore, géniale cosmogonie sonore transcendant le faible livret de Fuzelier. Dans la fosse donc, la fête, sur scène la réalité, monde obscur où passent les très actuelles notions de « relecture décoloniale », d’« appropriation culturelle » et de « représentation du corps racialisé sur une scène institutionnelle ». Jusqu’à l’entracte (Prologue et deux premières entrées, « Le Turc généreux » et « Les Incas du Pérou »), l’équilibre tient à la chorégraphie de la grande prêtresse hip-hop Bintou Bembelé, qui montre (on le savait au moins depuis Les Paladins – 2004 – par Montalvo et Hervieux au Châtelet) que les énergies cumulées des danses de rue et des rythmes ramistes peuvent donner un résultat détonnant. Mais la seconde partie monte en puissance, plus inventive, plus ironique, jusqu’à la battle des « Sauvages » qui déclenche un tonnerre d’applaudissements comme on en entend peu à l’opéra, jusqu’aux rappels chorégraphiés (pendant la grande chacone!), où la standing ovation s’adresse aux artistes autant qu’à la façon dont ils viennent saluer. Il s’agit, il est vrai, du gotha actuel du chant baroque, affrontant victorieusement la vastitude du lieu sous la direction électrique de Leonardo Garcia Alarcon à la tête de sa Cappella Mediterranea : trio de dames (Sabine Devieilhe, Jodie Devos, Julie Fuchs), duo de ténors (Stanislas de Barbeyrac, Matthias Vidal), voix graves (Alexandre Duhamel, Edwin Crossley-Mercer) à égalité, Chœur de Chambre de Namur céleste dans l’Hymne au soleil, autre tube de l’ouvrage. 
François Lafon 

(Photo Julie Fuchs © Little Shao / OnP)

Les Indes galantes
Sabine Devieilhe, Jodie Devos, Julie Fuchs (sopranos), Stanislas de Barbeyrac, Matthias Vidal (ténors), Alexandre Duhamel, Edwin Crossley-Mercer (baryton)
Capella Mediterranea, Chœur de Chambre de Namur
Direction musicale : Leonardo Garcia Alarcon
Mise en scène : Clément Cogitore

mis en ligne le dimanche 29 septembre 2019

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