Une Arlésienne… pour un Miracle
Pour le Cent-Cinquantième anniversaire de la mort de Georges Bizet, le Palazzetto Bru Zane a porté ce projet, d’abord présenté à Tours en septembre 2024, avant de déployer ses ailes à Paris pour onze représentations, jusqu’à mardi dernier.
Le spectacle, qui mêle opéra, théâtre et chorégraphie, présente successivement deux œuvres : L’Arlésienne, dont on ne connaît plus généralement que les deux suites que Bizet a lui-même tirées de son ambitieuse partition d’une durée totale de près de cinquante minutes, composée en 1872 pour accompagner le drame de Léon Daudet. L’argument, issu des Lettres de mon Moulin, est un conte provençal avec bergers, paysans, jeunes gens tourmentés et une Arlésienne, clé du drame… que l’on ne verra jamais ! L’histoire d’amour, dramatique puisque le héros Fréderic se suicide par amour pour sa belle Arlésienne, hélas infidèle, est désuète à souhait. Hervé Lacombe en a proposé une version raccourcie, centrée sur le personnage d’un récitant – le formidable Eddie Chignara –, avec des personnages muets ou dansants interprétés ou renforcés par un chœur de quatre chanteurs. Pierre Lebon s’est chargé lui-même de la mise en scène, des décors et des costumes. Le charme de l’ensemble doit beaucoup à cet étonnant moulin construit à grand renfort de planches de bois qui s’ouvre sur un écran où défilent des tableaux paysans, d’abord proches du Millet de L’Angélus pour se clore sur un Turner, symbole des temps nouveaux. Le défilé des toiles est actionné par une manivelle manipulée par les acteurs – une volonté de jouer en permanence entre réalisme et distanciation.
La seconde pièce, le Dr Miracle, est plus clairement dans un style commedia del’arte et pantomime, avec des références au Molière de L’Amour médecin. Le valet de la comédie s’appelle du reste Pasquin, et fait furieusement penser à Scapin. Un père abusif et ridicule, le Podestat, une fille ne pensant qu’à l’amour avec un beau militaire, Silvio, et une épouse du Podestat, Véronique, rêvant surtout d’être veuve, composent une bande savoureuse. La musique est composée par un Bizet de dix-neuf ans dans le cadre d’un spectacle écrit pour le concours d’opérette lancé par Offenbach en 1856 au théâtre des Bouffes. Ici, les chanteurs dansent, se démènent et changent de costume avec un entrain et un talent remarquables – Dima Bawab, Marc Mauillon, Héloise Mas et Thomas Dollié en alternance avec une autre distribution. Le Docteur Miracle, charlatan évident, représente en même temps la puissance du rêve et de l’illusion comme les acteurs et le théâtre lui-même. La réussite doit beaucoup aux musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris, dynamiques et joyeux, emmenés par la baguette énergique de Sara Elisabeth Lee. Afin de prolonger la magie, les ouvreuses remettent à la fin de la représentation un prospectus vantant le Dr Miracle : « disponible 7 jours sur 7 pour dévoiler le passé, chasser la cellulite, ou régler les problèmes de tuyauterie… Il n’y a pas de problèmes sans solutions » ! Pendant l’entracte, des élèves du Conservatoire Georges Bizet du XXe arrondissement de Paris se produisaient, chantant du Bizet, bien sûr, souvent Carmen, mais parfois aussi Offenbach ou encore le célèbre Mignonne allons voir si la rose… de Ronsard mis en musique par Chaminade.
L’ensemble séduit par la somme des talents, décor, chanteurs, danseurs et comédiens, laissant néanmoins poindre un peu d’ennui lié aux conventions du drame de Daudet dit par le seul récitant : public cependant ravi et ne ménageant pas ses applaudissements.
Denis Méchali
Théâtre du Châtelet, 3 juin 2025
• Prochaines représentations du Docteur Miracle du 1er au 10/07, 6 dates dans le Canton de Vaud et en Suisse Romande, 6 et 8/07 à l’Opéra de Lausanne, et 30/01 et 1/02/2026 à Rouen (Théâtre de la Renaissance, Mondeville et Centre Culturel Guy Gambu, Saint-Marcel)
• L’Arlésienne et Le Docteur Miracle les 10 et 11/04/2026 à Rouen (Théâtre des Arts) ,
Photo : D. Bawab (Laurette), T. Dolié (Le Podestat de Padoue), H. Mas (Véronique), M. Mauillon (Silvio), P. Lebon (L'assistant) © T. Amouroux