De l’art de recycler les restes. Prenez un sujet connu : Puccini, sa vie, son œuvre, ses photos le montrant en nanti viscontien, ses opéras aimés du vulgaire et repêchés sur le tard par les beaux esprits. En cent-cinquante pages, Sylvain Fort, normalien et journaliste, donne un portrait en kit du géant qui est arrivé à succéder à Verdi tout en participant à la reconversion de l’opéra en théâtre musical. Reconsidération de la légende (le jeune Puccini recevant la révélation lyrique en allant voir Aïda), analyse psychologique (1917-24, Puccini en quête de lui-même), reclassement thématique (« il démêle l’écheveau des réalités psychiques et sociales nouvelles »), contribuent à remettre quelques pendules à l’heure. La dernière partie, Pucciniana, est la plus originale, donc la plus réjouissante. L’auteur imagine Puccini en Flaubert de la musique (lenteur dans le travail, goût de la vie bourgeoise, subversion du style, peinture de femmes brisées devenues archétypes), imagine des livrets que Puccini aurait pu mettre en musique (Lulu, Lolita, Le Mépris), règle son compte au vérisme, et consacre même un chapitre aux « paladins de Puccini », c'est-à-dire à ses confrères Mosco Carner et Marcel Marnat, attachés à pourfendre des préjugés qui datent de nos grands pères. Reste que pour mieux apprécier ce petit livre aux idées qui bifurquent, la lecture des pavés de ces deux sommités reste d’actualité.
François Lafon
Sylvain Fort : Puccini. Actes Sud/Classica, 160 pages, 16 euros