Jeudi 18 avril 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon

Emoi dans le Landernau musical à la suite de la disparition de Janos Starker. Rien que de justifié : Starker était un grand violoncelliste et un grand professeur. Pas étonnant non plus qu’on parle moins de lui que de Rostropovitch : il n’a pas tutoyé Prokofiev et Chostakovitch, ni épousé une diva, ni été déchu de sa nationalité pour raisons politiques. Il a seulement – si l’on ose dire – fui sa Hongrie natale pour devenir américain via la France parce qu’il était juif, et qu’il n’a échappé aux nazis que pour tomber sous la coupe des communistes. Aucun scoop à son propos : on le disait glacial, y compris en scène (« Il se caricaturait emprisonné dans un iceberg avec comme légende « Celui dont la flamme intérieure gèle l’air autour de lui », rappelle son élève Raphaël Pidoux dans La Croix) et ses photos le montraient rarement en train de sourire, même à son pianiste favori Gyorgy Sebok, lequel en comparaison avait l’air d’un doux rêveur.  Il a pourtant - et cela c’est d’une certaine manière un scoop, parce que les discographies l’oublient trop souvent – enregistré des dizaines de disques (plus de 160 œuvres), du 78 tours au CD, parmi lesquels cinq versions des Suites de Bach, de plus en plus austères jusqu’à un ascétisme rarement égalé. Mais il officiait, il est vrai, à une époque où il n’était pas besoin de ressembler à une rock star pour faire carrière, et où les pochettes des disques classiques n’essayaient pas de persuader le chaland que la très ardue Sonate pour violoncelle seul de Kodaly (autre tube de Starker) était aussi fun que le dernier album de Frank Sinatra.

François Lafon

lundi 29 avril 2013 à 21h10

Quel rapport entre Boris Godounov, l’opéra de Moussorgski, et La Reine Margot, le film de Patrice Chéreau ? Entre Rigoletto, de Giuseppe Verdi, et Le Cinquième élément, de Luc Besson ? Le pouvoir, la soif de pouvoir. Costumer le pouvoir, tel est le titre de l’exposition visible jusqu’au 20 mai au Centre National du Costume de Scène de Moulins qui, depuis 2006, fait revivre les costumes d’opéras et de théâtre à travers de magnifiques scénographies. Des vitrines en clair-obscur pour mettre en valeur les costumes, des extraits vidéo pour restituer les ambiances, des posters habilement pédagogiques pour raconter le contexte, voilà qui entraîne le promeneur dans une démarche passionnante : parcourir au gré de ses envies la frontière qui sépare les deux univers indissociables d’un spectacle. Côté pile, la préparation, l’invention, la création ; côté face, la représentation, son atmosphère, sa magie. Cette façon de mettre en parallèle l’infini des heures passées à travailler dans l’ombre et la fugacité du passage d’un spectacle en pleine lumière en dit long sur l’aventure du théâtre, du cinéma et de l’opéra, sans jamais écraser par quelque explication pédante le plaisir de l’’œil et de l’oreille : voir rassemblés dans une même vitrine les costumes du célèbre Atys mis en scène par Villégier ou les robes superbes des Adieux à la Reine, le film de Benoît Jacquot, crée un émotion indicible.

Gérard Pangon

Centre National du Costume de Scène – Quartier Villars – Moulin sur Allier. Tous les jours de 10 h - 18 h. www.cncs.fr Photo : La vitrine des Adieux à la Reine © CNCS

jeudi 25 avril 2013 à 11h54

Le maître chanteur de Minsk de Morley Torgov chez Actes Sud, ou Wagner héros de roman policier. C’est la deuxième enquête d’un Sherlock Holmes allemand nommé Hermann Preiss, la première (Meurtre en la majeur – 2010) mettant en scène Robert et Clara Schumann, la troisième (en prévision) promettant un affrontement entre Liszt et le directeur de cirque Phineas Taylor Barnum. L’auteur, très connu au Canada et venu sur le tard au polar (il a 85 ans) reprend à son compte la formule d’Alexandre Dumas « On peut violer l’histoire, pourvu qu’on lui fasse de beaux enfants », et ficelle habilement une fantaisie à suspense autour de la création à Munich des Maîtres chanteurs de Nuremberg en 1868. Petit jeu pour amateurs du genre : traquer l’anachronisme (parlait-on à l’époque de « conflit d’intérêt » ?) et savourer l’invraisemblance (un chanteur d’opéra prenant un bain de vapeur une heure avant d’entrer en scène). Mais à la différence de Dumas, Morley Torgov omet de soigner les détails qui font sérieux, même si l’attribution, dès le premier chapitre, du rôle de Beckmesser à un ténor ne risque de faire tiquer que les spécialistes.

François Lafon

Le maître chanteur de Minsk, de Morley Torgov, traduit de l’anglais par Céline Schwaller. Actes Sud « Actes noirs », 368 p., 22,80 €

Disparition, à quatre-vingt-cinq ans, du compositeur et pianiste Jean-Michel Damase. Parce qu’il était mondain et parisien (bien que né à Bordeaux), parce que sa musique relevait d’une tradition française davantage tournée vers Fauré et Poulenc que vers Messiaen et Boulez, il était considéré comme un artiste agréable à défaut d’être mémorable. Les nécrologies mettent en avant sa musique de chambre - sous-évaluée - et son œuvre lyrique, inspirée de Jean Anouilh (Colombe, Eurydice), Louise de Vilmorin (Madame de…) ou Henry James (L’Héritière, d’après Washington Square). Elles oublient le « feuilleton musical » Eugène le mystérieux, sur un livret de Marcel Achard (autre agréable plutôt que mémorable), créée au Châtelet en 1964 et mettant en scène le romancier populaire Eugène Sue. Musicalement trop raffiné (en pleine période Francis Lopez), sans vedette à l’affiche, l’ouvrage fit un flop. Mené par la fraîche Jacqueline Boyer (fille de Lucienne), ce petit ensemble intitulé « La Bonne éducation » donne envie de reconsidérer la question.

François Lafon

jeudi 18 avril 2013 à 11h44

A trente ans, Caroline Shaw, chanteuse, violoniste, compositeur et diplômée de l’Université de Princeton (New Jersey), vient de remporter le prix Pulitzer (10 000 dollars) section musique pour sa Partita for 8 voices, « un simple morceau né d'un amour de la surface et de la structure, de la voix humaine, de la danse et des ligaments fatigués, de la musique, et de notre désir fondamental d'établir une ligne d'un point à un autre ». En quatre parties (Allemande, Sarabande, Courante, Passacaille), enregistrée en octobre 2012 avec l’octuor vocal Roomfull of Teeth (New Amsterdam Records), l’œuvre se veut à cheval entre la musicke (sic) ancienne et la musique (re-sic) moderne, et est née de la contemplation de Wall Drawing 305, une installation de Sol LeWitt's au Massachusetts Museum of Contemporary Art. « Une oeuvre a cappella hautement raffinée et inventive fondée sur le mot, le chuchotement, le soupir, le murmure, la mélodie sans paroles et de nouveaux effets vocaux », commente le jury Pulitzer, lequel a par le passé couronné le Double Sextett de Steve Reich (2009) aussi bien que l’opéra crossover de Zhou Long Mme White Snake (2011). Reste à savoir où, dans Partita for 8 voices, il a entendu de « nouveaux effets vocaux ».

François Lafon

Batterie de vernissages à la Maison européenne de la photographie : Claude Lévêque, Philippe Favier, André Morain, une installation sonore du Japonais Atsunobu Kohira, une salle Images et Musique, en parallèle avec la série de livres-disques lancée en 2010 par Actes Sud. Beaux clichés signés Michael Ackerman (Berg, Schönberg et Webern par le pianiste brésilien Jean-Louis Steuerman), Alain Fleischer (mélodies anglaises par le ténor Simon Edwards), Pascal Dusapin (ses propres Etudes pour piano par Vanessa Wagner). Pour le son, possibilité d’écoute sur place (connexion avec smartphone), ou investissement dans les disques, lesquels sont en eux-mêmes des objets d’art : maquette luxe, reproductions photos impeccables, textes de présentation autorisés (Gérard Condé pour l’Ecole de Vienne) ou médiatiques (Michel Onfray pour Dusapin). Une collection anticrise : l’objet-disque ne se vend plus, magnifions-le ; le grand public ne réagit plus, faisons dans l’élitisme (deux-mille exemplaires vendus par titre). L’objet ressemble davantage à un livre qu’à un disque ? C’en est un aussi. Au rayon CD d’un grand magasin : - Où sont les disques classiques ? – Etage du dessous, librairie. – Pourquoi librairie ? – Produits culturels. Pour vivre heureux, vivons cachés ?

François Lafon

Maison européenne de la photographie, 5 rue de Fourcy, 75004 Paris du 17 avril au 16 juin. www.mep-fr.org

« Images et musique », Musicales Actes Sud. Trois volumes parus (dont un Albéniz par Jean-François Heisser, piano et Isabel Munoz, photos, absent de l’exposition). Parution de l’album Mélodies anglaises le 7 mai. Photo © Pascal Dusapin

jeudi 11 avril 2013 à 10h41

2588 œuvres dont plus de 300 en première mondiale, 1198 compositeurs dont 640 vivants, ont été représentées dans le monde de 2007 à 2012, selon le site Operabase. Pour le nombre des représentations, Paris (392) arrive en quatrième position derrière Berlin, Vienne et Londres et la France (1219)  est à la même place derrière les Etats-Unis, l’Allemagne et l’Autriche, mais  se retrouve ... 19ème quant au nombre de représentations par million d'habitants. Verdi, Mozart, Puccini, Wagner et Rossini constituent le Top 5 des compositeurs « classiques » les plus représentés (en nombre d’œuvres), Phil Glass, Hans-Werner Henze, John Adams, Peter Maxwell-Davis et Jake Heggie celui des compositeurs « contemporains », les compositrices n'apparaissant qu'à la 15ème place avec Kaija Saariaho. Le Top 10 des opéras les plus représentés est sans surprise : La Traviata, La Bohème, Carmen, La Flûte enchantée, Tosca, Les Noces de Figaro, Madame Butterfly, Le Barbier de Séville, Rigoletto, Don Giovanni. A noter tout de même qu’Aïda, longtemps en tête avec Carmen, n’arrive qu’en 14ème position (manque de voix pour le chanter ?) alors que La Traviata passe pour la première fois en tête de liste. A noter aussi qu'aucun ouvrage de la seconde moitié du XXème siècle ne figure parmi les 25 titres leaders, le premier d’entre eux, Le Tour d’écrou de Benjamin Britten (1954), arrivant en 73ème position. Une précision : Jake Heggie, cinquième des compositeurs contemporains les plus représentés, est l’auteur de Dead Man Walking (2000), triomphe international pas encore donné en France. Une remarque : Händel est neuvième dans la liste des compositeurs les plus représentés, mais aucun autre musicien antérieur au XIXème siècle (Mozart mis à part, bien-sûr) n'apparaît avant Gluck et Purcell (23ème et 24ème places). L'invasion de l’opéra baroque, fêtée par les uns, déplorée par les autres, serait-elle un effet d’optique, à moins que ce ne soit un phénomène franco-français ?

François Lafon

Photo Mireille Delunsch dans La Traviata DVD Bel air

Sur Arte en deux après-midi, en DVD dès maintenant : Graines d’étoiles, documentaire en six chapitres de Françoise Marie sur l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris, installée à Nanterre. « Plus que des graines, et pas tous destinés à être étoiles », tempère Brigitte Lefèvre, Directrice de la danse à l’Opéra. Montage rapide, rien de didactique, simplement, par petites touches, la conquête de la liberté dans la discipline, de l’art à travers la technique. Musique variées, rythmes tout simples ou très compliqués : « Stravinsky, ce n’est pas du Bach », prévient le chorégraphe néerlandais Nils Christe. « Danser avec un orchestre, c’est intéressant, il faut essayer de suivre le chef, et le chef doit arriver à nous suivre », philosophe un élève, anticipant l’éternel jeu de chien et chat entre les musiciens et les danseurs. Constante de ces trois heures - qui passent comme l'éclair - d’apprentissage accéléré de la vie : l’obsession des nombres. « Un couple, c’est deux personnes », rappelle la prof de danse de caractère ; « Un, deux, trois », scande le pianiste en tapant sur le couvercle du piano ; « Là, vous êtes ensemble » ; « En mesure le pied gauche …" Dans le cocon sécurisant et étouffant de l’école, le temps ne s’écoule pas, il se maîtrise. « Ils ne sont vraiment pas comme nous », remarque une petite Nanterrienne venue assister au spectacle annuel de l’Ecole. « Ce que les chanteurs et les danseurs envient aux acteurs ? » disait Régine Crespin : « Ils n’ont pas à compter sans arrêt, ils ne se réveillent pas en sursaut la nuit en criant : Ca y est, j’ai mangé le temps ».

François Lafon

Arte, 21 et 28 avril, 16h20. DVD Arte Editions.

 

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