Samedi 20 avril 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
lundi 30 décembre 2013 à 11h06

Parution en coffret de cinq CD des enregistrements du violoniste Ivry Gitlis pour Decca (1966-1995). Traits de génie et dérapages inspirés, jeu intemporel et documents d’un autre temps : une photographie non retouchée de cet artiste déconcertant (sans jeu de mot), que l’on voit encore - à quatre-vingt-onze ans - dans les salles de concert au milieu d’une nuée de jeunes artistes, que l’on a beaucoup vu au Grand Echiquier de Jacques Chancel, dont il était l’invité récurrent en compagnie sœurs Labèque et d’Alexis Weissenberg. Musts du coffret : les Paganini (Caprices, Concertos), le Concerto « à la mémoire d’un ange » de Berg, enregistré en 1967 avec l’Orchestre National de l’ORTF, mais aussi les Danses roumaines de Bartok et, pour les fans, les Concertos de Wieniawski et le Double de Brahms, avec Maurice Gendron au violoncelle sous la baguette du jeune Michel Tabachnik (1971). Du Concours Thibaud, dont il n’a reporté que le 5ème prix en 1951, ce Protée de la musique, étranger à tout plan de carrière, élève d’Enesco au Conservatoire de Paris, parrainé aux Etats-Unis par George Szell et Eugene Ormandy mais aussi partenaire des Rolling Stones et de John Lennon, ambassadeur permanent de l’Unesco et acteur occasionnel de cinéma (avec Truffaut et Schlöndorf), ne manque jamais de dire : « Je ne l’ai pas raté, c’est lui qui m’a raté ». Une seule répartie pour définir ce bien nommé « bon homme de passage » (git en yiddish, Ivry en hébreux).

François Lafon

Ivry Gitlis, Portrait. Un coffret de 5 CD Decca

lundi 23 décembre 2013 à 14h01

Dans le numéro de Noël du British Medical Journal, trois chercheurs allemands analysent l’influence des migraines dont souffrait Wagner sur sa dramaturgie musicale. Sujet d’étude : le premier acte de Siegfried, entrepris en septembre 1856, « une de mes pires périodes de souffrance » selon le compositeur. Le rideau se lève sur une sourde pulsation allant crescendo, à la suite de quoi Mime frappe une enclume en s’écriant : « Zwangvolle Plage » (approximativement : Souffrance contrainte). Plus loin, à la scène 3, une ligne mélodique « scintillante » est parcourue par un motif sous-jacent en zigzag, tandis que Mime invective la « maudite lumière » (A noter que c’est le vilain Nibelungen que Wagner prend comme porte-parole, et non Siegfried le héros). Plus technique : les violons et les altos produisent le scintillement en question selon une fréquence (16 Hz) proche de celle des auras (perturbations visuelles) provoquées par la migraine (17,8 Hz). « Une précieuse indication sur la vitesse d’exécution voulue par le compositeur », commentent les chercheurs. De là à conclure qu’il faut être sujet au mal de tête pour diriger correctement La Tétralogie… Norman Lebrecht, dans son blog Slipped Disc, reste dubitatif et rappelle que Beethoven, Schumann, Mahler et Jimi Hendrix ont souffert du même mal. Reste donc à analyser dans la même optique les martellements introductifs de la Sonate « Hammerklavier « (Beethoven – 1819) et les fusées psychédéliques d’Electric Ladyland (Hendrix – 1968). Plus argumenté en tout cas que la thèse donnant Tristan et Isolde comme la description clinique d’un orgasme de quatre heures d’horloge.

François Lafon

Photo © DR

Au Palais Garnier, exposition Verdi/Wagner et l’Opéra de Paris. La carpe et le lapin – si tant est que le mutisme de la carpe convienne au(x) sujet(s) – réunis par leur année commune de naissance (1813) et par la place qu’ils occupent au répertoire, en particulier celui de cette maison à l’époque incontournable et que chacun d’eux n’a eu de cesse de conquérir. A part cela, deux mondes différents, voire antinomiques, qui se rejoignent pourtant dans la façon qu’ont eu de les représenter les générations successives, depuis les toiles peintes de l’ère romantique jusqu’aux actuelles relectures dramaturgiques. C’est cette évolution qui guide le visiteur de salle en salle, soulignant les difficultés croissantes des metteurs en scène et scénographes à trouver à Verdi des intentions profondes autant qu’à résister aux exégèses abyssales auxquelles se prête Wagner. A lire le luxueux et très documenté catalogue de l’exposition, on saisit mieux le parallélisme trompeur des deux trajectoires : intéressante évolution-maison de quelques œuvres emblématiques (neuf Verdi pour sept Wagner – onze si l’on découpe La Tétralogie) en seconde partie de volume. Impression finale : si les deux titans se sont entendus à quelque chose, c’est à faire en sorte - inconsciemment ou non - que la postérité ne puisse pas les départager. C’est même le plus incontestable de leurs points communs. Même lieu, Rotonde du Glacier : Les z’animaux musiciens de Pascal Nègre par Michel Audiard. Un orchestre de métal découpé au laser et habillé de pimpantes couleurs, comme des fantômes de l’Opéra au profil de bêtes de scène. Très fêtes, assez magique. Ne manque que le son (arachnéen lui aussi ?), détail que Pascal Nègre, directeur d’Universal, peut régler comme par enchantement. Quant à Michel Audiard, sculpteur tourangeau, il ne manque ni d’humour ni d’invention. Question d’homonymie, sans doute.

François Lafon

Exposition Verdi/Wagner et l’Opéra de Paris, Palais Garnier, du 17 décembre au 16 mars – Catalogue sous la direction de Mathias Auclair, Christophe Ghristi et Pierre Vidal. Bibliothèque Nationale de France – Opéra National de Paris, 216 p., 39 € Photo © DR
Exposition Les z’animaux musiciens de Pascal Nègre par Michel Audiard, du 16 décembre au 2 janvier

lundi 9 décembre 2013 à 10h05

Disparition, à soixante-dix-neuf ans, du baryton finlandais Tom Krause. Un pensionnaire à plein temps de l’Opéra de Paris dirigé par Rolf Liebermann (1973-1980) : quand Gabriel Bacquier était pris ailleurs, il était le Comte dans Les Noces de Figaro ; quand José Van Dam n’était pas là, il chantait Figaro. Besoin d’un Amfortas (Parsifal) ? Tom Krause. D’un quadruple méchant des Contes d’Hoffmann dans la mise en scène de Patrice Chéreau ? Tom Krause encore. D’un Dandini dans La Cenerentola de Rossini ? Tom Krause toujours. Tard dans sa carrière, il a été appelé par Hugues Gall et Gerard Mortier, assistants de Liebermann devenus eux-mêmes patrons : Frère Bernard dans Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen (1992) Titurel dans Parsifal (2001). Un « troupier », à l’ancienne, et pour cela un peu sous-estimé : un pis-aller presque. Mais aussi un pionnier, protéiforme, multi-styles, polyglotte, bon comédien. Sa carrière internationale et sa discographie en attestent : Strauss et Mozart avec Georg Solti, Les Noces de Figaro avec Karajan (Le Comte cette fois), Brahms avec Bernard Haitink. Thésaurisé par les collectionneurs : un récital Sibelius de premier ordre (Decca, réédité par Eloquence), comme pour rappeler que Tom Krause n’était en aucun cas un artiste de deuxième ordre.

François Lafon

lundi 2 décembre 2013 à 09h40

Sur BBC News, Esa-Pekka Salonen donne 10 conseils à qui veut devenir chef d’orchestre :
1 – Aimer la musique (plus que soi-même)
2 – Assister aux répétitions (… des autres. C’est là qu’on apprend)
3 – Apprendre à bien jouer d’un instrument (piano ou cornemuse, mais savoir ce que signifie jouer bien)
4 – Accepter de n’être qu’un serviteur (quand je dirige Beethoven, je ne suis pas Beethoven)
5 – Jeter sa peau de lion et ne pas effrayer les gens (le chef dompteur/policier/instituteur/prêtre est d’un autre temps)
6 – Rester en forme (sinon, garder les bras levés pendant deux heures peut conduire à l’évanouissement)
7 – Avoir une bonne baguette (elle devient une partie de soi)
8 – Faire de petites excursions en dehors de sa zone de confort (trouver l’équilibre entre sécurité et danger)
9 – Tweeter (penser que la musique doit rester dans sa bulle est une idée arrogante et stupide)
10 – Etre un garçon ou une fille (il n’y a aucune raison pour qu’une femme ne dirige pas aussi bien, sinon mieux qu’un homme)
Dans la même série, on trouve 10 conseils à qui veut écrire des romans (par P.D. James), à qui veut réussir un scénario de blockbuster ou à qui veut devenir designer. Partout, enfoncement de portes ouvertes et remarques judicieuses. A « être un garçon ou une fille » (réponse utile mais attendue à quelques récentes prises de position sexistes – voir ici), on peut préférer, de la part de Salonen, le conseil - pas assez suivi par les artistes en général - d’assister aux répétitions des autres.

François Lafon

 

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