Premier nouveau spectacle de la saison à l’Opéra Bastille :
Œdipe de Georges Enesco sur un livret d’Edmond Fleg. «
11ème représentation à l’Opéra de Paris, 1ère dans cette mise en scène », indique le programme. C’est-à-dire que depuis sa création en 1936, l’ouvrage a été oublié par sa maison-mère, premier de la liste pas si courte des chefs-d’œuvre méconnus du répertoire français, ex-aequo avec
Guercoeur d’Alberic Magnard. Voilà en tout cas une séance d’initiation, pour ne pas dire de rattrapage, qu’apprécieront ceux qui n’ont pu courir l’Europe, de Bruxelles à Salzbourg, pour entendre cet unique essai lyrique de l’éclectique Enesco. Au Palais Garnier en 1936, le public a dû sentir vaciller ses certitudes musicales. Aujourd’hui, on y entend du Strauss (celui de
Salomé), du Debussy (
Pelléas bien sûr), du Stravinsky (
Oedipus Rex), mais aussi une façon qui n’est qu’à Enesco de marier avant-garde et archaïsme, traditions roumaine et française, pour offrir deux heures trois quarts de lave et de feu, couronné par un récitatif dont s’inspirera Olivier Messiaen pour son
Saint François d’Assise. Roboratif donc, ou indigeste ? Plutôt l’un que l’autre, ayant mieux vieilli en tout cas que le livret versifié de Fleg, lequel a pour originalité de suivre Œdipe de sa naissance à sa surnaturelle disparition à Colone. Pour mieux tenir la main du spectateur néophyte, le metteur en scène Wajdi Mouawad remonte même plus loin dans un prologue de sa plume, où il nous rappelle (nous apprend ?) que la malédiction d’Œdipe («
Il tuera son père et épousera sa mère ») est consécutive au viol perpétré par ledit père sur un enfant. Le reste du spectacle n’en suit pas moins la fable à la lettre, Mouawad s’étant cette fois gardé de réécrire celle-ci comme il l’avait à Lyon pour
L’Enlèvement au sérail de Mozart (voir
ici). Belle idée que ces costumes et coiffures renvoyant à un univers où l’humain participe du végétal, du minéral et de l’animal, bonne idée aussi que de créer dans le chœur des rapports de masse intéressants, même si (manque d’habitude ?) on assiste par moment à des défilés rappelant l’opéra… en 1936. Bonne distribution (avec Anne Sofie von Otter en
guest star) dominée par Christopher Maltman, Œdipe super-héros plus extraverti mais non moins impliqué (et quelle diction française !) que José van Dam au disque (EMI-Warner), sous la direction superlative d’Ingo Metzmacher, grand chef trop peu connu en France, lequel a déjà enflammé l’Opéra Bastille en 2019 dans la
Lady Macbeth de Mzensk de Chostakovitch.
Opéra National de Paris – Bastille, jusqu’au 14 octobre. En direct le 14 octobre à 19h30 sur Medici.tv et sur la plateforme numérique de l’Opéra national de Paris « l’Opéra chez soi ». En différé sur Mezzo Live HD le 17 octobre à 21h et sur France Musique le 30 octobre à 20h (Photo © Elisa Haberer / OnP)