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Concerts & dépendances
Kein Licht, Manoury et la fin du monde
vendredi 20 octobre 2017 à 00h08
A l’Opéra Comique : Kein Licht de Philippe Manoury sur des textes d’Elfriede Jelinek, mis en scène par Nicolas Stemann. Une production participative (voir ici - 105 généreux donateurs individuels) initiée in loco mais créée dans le cadre de la Ruhrtriennale et donnée au festival Musica de Strasbourg, et déjà détentrice du prix Fedora 2016. Une création quand même puisque le compositeur revendique la dimension d’« œuvre ouverte », recomposable à merci, pour ce Thinkspiel (de « penser » en anglais et de « singspiel », genre lyrique intraduisible de l’allemand) dont le titre fait référence à Licht, le grand-œuvre opératique à épisodes de Stockhausen. Anecdote : le sombre avenir de l’humanité (Kein Licht : pas de lumière) perdue par le nucléaire (on pense au Grand Macabre de Ligeti). Cela commence à Fukushima et se termine sur Mars, où le couple de narrateurs fuit après avoir, entre autres, assisté aux menaces atomiques adressées par Donald Trump à son homologue coréen, le tout en trois parties (en gros : incrédulité, déni, renoncement) commentées en guise d’intermèdes par le compositeur lui-même passant de la console au micro (en français, lui). Mais l’anecdote n’est qu’ … anecdotique pour Manoury, lequel se réclame d’un opéra « sans identification sur les personnages » (« Comment le public peut-il encore croire que la mezzo qu’il a sous les yeux s’appelle réellement Carmen ? »), et chanté quand il le faut seulement (parlé donc, en l’occurrence dans la langue de Goethe) pour échapper à ce qu’il appelle, dans une interview pour le site Forum Opera « le syndrome des Parapluies de Cherbourg ». Il en résulte un spectacle fou, pas aussi anarchique qu’on l’a dit, volontiers moralisateur mais assez drôle par moments, jusque (involontairement ?) dans le choix de certains textes, plus conventionnels qu’abscons (« Le texte est obscur, mais la réalité l’est tout autant » dit Manoury) une fois sortis de leur contexte. Un spectacle virtuose (Stemann est un maître de la scène et un collaborateur attitré de Jelinek) dans le goût actuel du théâtre allemand, au service d’un ouvrage qui n’innove pas vraiment, l’opéra dépersonnalisé ayant fait long feu depuis l’époque où Luciano Berio l’a porté à un certain degré d’accomplissement. Mais la musique (orchestre dirigé par Julien Leroy, son IRCAM) est belle, ponctuée de références venant à point nommé : citation fulgurante de Wozzeck de Berg, magnifique lied alla Mahler, et même trio du Chevalier à la rose avec chien savant, auquel reviendra le ouah ouah de la fin, quand les mots, parlés ou chantés, ne seront plus capables de rien dire. A quand une Kein Licht Symphonie, à écouter les yeux fermés sur le sort de la planète dévastée ? 
François Lafon

Opéra Comique, Paris, jusqu’au 22 octobre (Photo © DR)
 
 

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